Après avoir interrogé « l’Education du dirigeant » lors de notre conférence du mois d’Avril,  nous avons poursuivi notre cycle de travail sur la « fin du management » en explorant cette fois-ci « les nouveaux leviers de la motivation ».

Le groupe de travail qui -lors de notre séance  inaugurale du 12 février dernier- a préparé cette thématique a clairement identifié ce qui constitue pour les salariés d’aujourd’hui le facteur clé de sa motivation : la mise en œuvre et la reconnaissance de sa « juste place » dans la culture et le projet singuliers de l’entreprise.

Notre invité d’honneur Neel Doshi est totalement en phase avec cette affirmation. Il a livré  au Cercle du leadership, et pour la première fois à un public français, le fruit de 15 ans de ses recherches démontrant que les leviers de la motivation sont internes à l’individu et que tout l’art du management consiste à les faire émerger.

Cela balaye des décennies de certitudes managériales qui amenaient les entreprises à  développer des instruments de motivation externes extrêmement sophistiqués (les évaluations, les ratings de performance, les systèmes de compétitions internes, les promotions aux résultats, les plans de carrières etc..) qui n’ont en définitive jamais prouvé leur efficacité réelle.

Deux de nos membres ont témoigné d’actions mises en place au sein de leur entreprise en matière de motivation des salariés :

Franck Aime nous a montré comment avec une enquête conduite depuis 20 ans auprès des salariés du groupe à l’échelle mondiale -les salariés de Danone plébiscitaient avant tout les leviers de motivation intrinsèques-.

Arnaud Franquinet a partagé avec nous, la manière de manager son service et la fonction HR à travers des réalisations concrètes qu’il a mises en oeuvre dans le domaine de la «motivation interne» chez Grant Thornton.

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Neel Doshi est Partner chez McKinsey & Company, bureau de New York, dont il dirige la practice « Capital humain ».Il a commencé sa carrière à Citigroup où il se spécialisait déjà dans l’existence des liens entre culture d’entreprise et innovation sociale ; il a ensuite poursuivi chez American Express puis chez McKinsey son inlassable travail de recherche. Ses travaux pour développer le « total motivation culture system » (TOMO) sont le fruit de 15 années de travail intense mené auprès de plus de 1500 entreprises. Neel Doshi est convaincu de la nécessité économique et sociétale de mieux prendre en compte et de développer le potentiel des salariés surtout au sein d’entreprises à forte technicité. En ce sens, il remet en question beaucoup de nos certitudes habituelles sur les véritables leviers de la motivation. Ceci s’inscrit parfaitement dans la réflexion que nous avons engagée en 2014 sur la « fin du management ». Neel Doshi est Ingénieur mécanicien diplômé (B.S) du Massachussets Institute of Technology (MIT), Neel est également titulaire d’un MBA de la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Il s’apprête à éditer le produit de ses recherches dans un livre à paraître sous peu : «  Total motivation: the science and engineering of high performing cultures ».

Les leviers de la motivation : une approche disruptive  

Pour Neel, la condition préalable nécessaire au fondement d’une motivation totale des équipes – qu’il appelle TOMO dans son modèle – tient  à la capacité pour une organisation de se doter d’une culture propre. Certaines y parviennent ; d’autres  se contentent d’effectuer une sorte de « copier-coller » des principales cultures  existantes chez leurs concurrents ou sur le marché. La distinction est critique pour la suite de l’histoire.

Une deuxième observation effectuée sur des panels  de nombreuses entreprises qui ont mis en place des instruments pourtant sophistiqués de gestion des ressources humaines montre qu’au fil du temps, le degré de motivation des salariés varie très peu.  Un tiers des salariés sont « activement engagés » de manière constante ; environ la moitié  est peu « engagée et 15 % sont « extrêmement  désengagés. Mieux, une observation effectuée sur des groupes de salariés  rémunérés au résultat par rapport à des groupes non rémunérés de cette manière montre que les seconds obtiennent de meilleures performances que les premiers.

Pourquoi ce constat ?

« Les seules motivations qui comptent sont les motivations internes »

Parce que la plupart des entreprises ont essentiellement mis en place des cultures de performances basées sur  des leviers de motivations externes.

Ces systèmes sont caractérisés par l’encouragement  à l’obtention d’un résultat immédiat. Ils s’appuient sur des rémunérations basées sur la performance ; sur des systèmes d’évaluations réguliers ; sur des ratings d’objectifs notamment pour les forces commerciales ; sur des promotions attribuées en fonction d’indicateurs de performance ; sur des mises en concurrence des salariées entre eux.

Ces systèmes privilégient une culture  de compétition interne et externe. « us versus them ». Les challenges, les concours  sont des moments forts de la vie du groupe. Dans ce système, l’entretien annuel d’évaluation a pour but de fixer des objectifs et d’en mesurer le résultat. Sa  vocation de développement personnel est totalement absente. Le management a comme mission de distribuer bons et mauvais points : « les sticks and carrots ».

Le modèle se réfère à trois types de motivations extrinsèques :

  • celles qui ont trait  au besoin de travailler sous la pression « emotional pressure »
  • celles qui sont relatives aux perspectives de gain « economic pressure »
  • celles qui résultent d’une sorte de besoin non identifié, très éloigné du travail lui-même,  proche du devoir ou de l’obligation « inertia »

Des centaines d’enquête démontrent de façon probante que les motivations externes réduisent l’engagement et la satisfaction des salariés. Elles atténuent leur  l’auto-détermination ; elles créent des bureaucraties et des mécanismes de gestion du capital humain technocratiques basés sur des contrôles des performances extrêmement lourds à gérer.

A l’inverse quelques entreprises préfèrent développer des systèmes de motivation intrinsèques.

Dans ces systèmes, c’est la satisfaction à accomplir leur tâche qui est recherchée et qui va constituer le principal facteur de motivation. Basée sur une culture d’entreprise forte et connue de tous, l’objectif est de miser sur la passion et l’enthousiasme pour  améliorer productivité et performance. L’objectif n’est pas de modifier directement les comportements des individus mais d’inciter les salaries à découvrir leur propres ressorts d’amélioration.  On distingue dans ce modèle trois types de motivation intrinsèques.

  • celles qui sont basées sur le plaisir d’accomplir sa tâche « play motive »,
  • celles qui sont basées sur la satisfaction et le bien-être personnel, car le travail correspond à ses valeurs  «purpose motive »,
  • enfin, celles qui permettent de se  développer et de grandir «  potential motive ».

 Les mêmes études que celles citées plus avant démontrent que la recherche des leviers de motivation internes améliore sensiblement la performance elle-même. Une étude menée au sein d’un Call center mesure que le recours à des leviers internes de motivation  a accru de 93 dollards les gains produits par salariés par rapport à une norme moyenne alors que la recherche des seuls instruments de motivation externes les diminuent de 16 dollars. Elles accroissent la créativité des salariés. Mesurée sur un groupe de salariés, la créativité s’accroit de 26 % si elle est stimulée par des leviers de motivation interne. Dans ces systèmes, les managers sont davantage perçus comme des facilitateurs, des créateurs  d’autonomie. Le management recherche la responsabilisation et la mise sur  la confiance. Il n’est pas rare que l’entretien annuel d’évaluation soit purement et simplement abandonné au profit de mécanismes collectifs destinés à améliorer la cohérence du groupe.

En résumé la recherche de leviers internes de motivation permet :

  • une amélioration de 16 % des performances,
  • une diminution de 125 % des burnout,
  • une amélioration de l’engagement des salariés de 32 %,
  • une amélioration de 46 % de la satisfaction au travail.

Nota : l’étude de Mckinsey est réservée aux membres du Cercle du leadership et elle leur sera communiquée par ailleurs.

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Mesure de l’engagement Chez Danone par Franck Aimé, Vice-Président développement des Organisations et Dynamiques sociales  

 

Franck Aimé travaille depuis 15 ans chez Danone dans les Ressources Humaines. Il a passé 13 ans à l’étranger en Amérique du Nord, en Asie et en Europe ou il s’est principalement occupé d’intégration de nouvelles sociétés. Il a notamment été DRH de la Division Nutrition Médicale et Infantile de la Région Asie. Depuis 2012 Franck est VP Développement des Organisations et Dynamiques Sociales. Il est passionné par le management interculturel et les organisations apprenantes.

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Tous les deux ans depuis près de 20 ans, Danone mesure par une enquête interne exhaustive l’engagement des salariés. Cette enquête effectuée dans le monde entier concerne 100.000 salariés. Elle est traduite en 38 langues et concerne 175 entreprises du groupe.

Le taux de réponse est particulièrement élevé puisqu’il est de 88 %.

Cette étude basée sur le modèle de Towers Watson, reprends  4 items principaux :

  • rationnels – ce que je pense de l’entreprise,
  • émotionnels -ce que je ressens au travail,
  • comportementaux -ce que je fais, comment j’agis,
  • comportementaux – est ce que j’ai envie de rester ?

La première constatation tient au niveau d’engagement global. Il est en constante progression puisqu’il est passé d’environ 75 % en 2005 à plus de 90 % en 2013.

La seconde constatation montre de manière très probante que les salaries fortement engagés ressentent un fort bien être au travail. Ils sont 75 % à indiquer que le bien être au travail -combinaison de motivation pour la tâche, de satisfaction qu’elle procure, de résultats durables qu’elle permet d’atteindre – constitue leur premier facteur d’engagement. Par comparaison le pourcentage équivalent pour le panel d’entreprises observé par Towers Watson n’est que de 30 %.

On notera toutefois qu’ils sont 18 % à reconnaitre que cet engagement leur procure un mal être -combinaison de pression émotionnelle ou économique intenses-.

Si l’on se réfère à l’étude de McKinsey -TOMO- décrite ci-dessus,  cela signifie que 3/4 des salariés de Danone actionnent des leviers de motivation internes ( play, purpose et potential motive),  tandis qu’1 sur 5 est plus sensible aux leviers de motivation externes ( emotional pressure, economic pressure, Inertia)

C’est à partir des résultats de ces enquêtes internes que Danone fait évoluer ce qu’il appelle son modèle d’engagement durable. Celui-ci repose aujourd’hui sur trois piliers essentiels : engager, faciliter stimuler.

  • Engager, c’est permettre à chacun d’adhérer aux objectifs de l’entreprise, c’est se sentir appartenir à l’entreprise, c’est être prêt à consentir à plus d’efforts pour la réussite de l’entreprise,
  • Faciliter, c’est lever les obstacles pour faciliter le travail quotidien, c’est offrir des ressources nécessaires pour atteindre et dépasser ses objectifs, c’est mettre en capacité de faire face efficacement aux défis,
  • Stimuler, c’est nourrir le dynamisme nécessaire au travail, c’est être soutenu par ses collègues et son management, c’est se sentir enthousiaste et épanoui au travail.

L’originalité de cette méthode, tient en sa vertu pédagogique et vertueuse. Une enquête mesure le degré d’engagement des salariées ; au travers des évolutions constatées, le Groupe fait varier son modèle d’engagement. Celui-ci est à nouveau mesuré au cours de l’enquête suivante, dans une noria permanente …. pour le résultat probant que l’on connaît.

Nota : l’enquête de Danone est réservée aux membres du Cercle du leadership et leur sera communiquée par ailleurs.

 

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Témoignage d’Arnaud Franquinet,

Directeur du développement du capital humain.

Grant Thornton

 

Arnaud Franquinet a débuté sa carrière comme Consultant chez PWC (1992), auditeur financier chez Mazars & Guérard, responsable du développement de l’activité assurance de Michael Page International (1998), consultant senior au sein de Bernard Julhiet (2000-02), responsable des ressources humaines à l’Opfra en (2002), directeur des ressources humaines du groupe Grant Thornton (depuis 2006). Il a reçu l’Award 2014 de la firme internationale la mieux « managée » décerné par le Managing Partner’s Forum.

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Arnaud Franquinet précise qu’il a pris conscience du levier que présentaient les facteurs internes de motivation, lors de sa prise de fonction en tant que DRH de l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), établissement public autonome, en 2002.

Alors qu’il était arrivé à surmonter la différence culturelle qui pouvait exister entre une administration et une entreprise privée, tant dans le mode organisationnel que sur le plan réglementaire, il indique s’être trouvé en situation d’échec sur le plan du management des équipes.

En effet, issu d’une culture conseil, plutôt anglo-saxonne, liée à ses expériences antérieures, il avait pris conscience rétrospectivement, combien il était facile de manager des personnes jeunes motivées et construites sur une culture identique, formatées à un système assez binaire, carotte ou bâton.

Pour mener à bien la politique de changement au sein de l’établissement public (mise en place de la lolf et d’indicateurs de productivité), il lui était important de trouver des moteurs pour embarquer malgré tout son équipe, qu’elle puisse être motivée autrement que soit par la peur d’être remercié soit la perspective d’un gain salarial substantiel, ce qui était difficilement compatible avec les modes de fonctionnement de la fonction publique.

Il a découvert un gisement de facteurs de motivation dont il se sert actuellement pour manager ses équipes (une vingtaine de personnes en direct).

Voici quelques éléments que nous a livrés Arnaud :

  •  En arrivant chez Grant Thornton, il hérite d’un département d’une dizaine de personnes en charge de tâches administratives et sociales. L’objectif était de construire une fonction RH. Concomitamment, il a intégré le board rh monde pour également construire la fonction à l’échelle mondiale. Challenge pas facile d’autant que dans les structures en partnership, les fonctions centrales mondes ne disposent pas de lien hiérarchique avec les pays. Mais ce fût très riche d’élaborer une culture RH mondiale tout en construisant de manière très pragmatique en local, cette même fonction. Ce double rôle a participé au renforcement de son acuité aux facteurs internes de motivation (comment embarquer dans un projet des personnes sur lesquelles nous n’avons pas de lien hiérarchique).
  • 8 ans après, la fonction est reconnue et installée au comex de l’entreprise, preuve que cela n’a pas trop mal réussi.
  • Lorsqu’il a pris ses fonctions, il ne parlait pas de process RH mais de culture. Les équipes ont été surprises car il ne s’intéressait pas aux descriptifs de postes par exemple, tels qu’ils avaient été réalisés, mais plutôt i) au partage d’une vision de la fonction pour le future, ii) à l’embarquement des équipes dans cette vision iii) à la capitalisation des aspirations et préférences des uns et des autres. Peu lui importe les tâches, il se concentre uniquement sur les échéances en embarquant les personnes selon leurs aspirations et intérêts pour telle ou telle action.
  • Bien entendu, lors de la prise de fonction, cela a créé un flottement et une certaine désorganisation… du flou propice à la créativité. C’est l’une des caractéristiques que d’avoir une organisation floue justement. En fait tout est organisé en mode projet flexible.
  • Conséquence, ou autre élément caractéristique, c’est le travail en équipe. En fonction des tâches à accomplir, on se met à plusieurs et tout le monde travaille ensemble ; il n’y a quasiment pas de production individuelle, même lui va chercher les expertises au sein des équipes en faisant relire ses propres documents par exemple. La frontière entre salariés et non salariés et estompé : les fournisseurs sont intégrés dans les projets au même titre que le personnel.
  • Il a gommé les rapports hiérarchiques avec ses équipes : bureau ouvert, téléphone et mèl ouverts pour ses équipes, pas de secrétariat, pas de barrage… il travaille au sein de son service, il n’a d’ailleurs pas de bureau mais une salle avec une table de réunion et un paper board. Il va au contact des autres et s’installe dans le bureau des autres ; il ne convoque pas.
  • A titre d’exemple il ne s’occupe pas des congés (peu importe que les salariés soient présents ou non) mais en revanche est intraitable sur les échéances. Autre point, il s’est affranchi des entretiens annuels, la proximité des échanges permettant de traiter les points au fur et à mesure.
  • Cela nécessite beaucoup de communication, de prendre le temps de reformuler et de réorienter en permanence les équipes dans les bonnes directions, de la disponibilité pour aider les collaborateurs en détresse (il cite ainsi en exemple une employée qui n’arrivait plus à tenir ses échéances et qui est venue le voir en fin de journée espérant une suppression de celles-ci ou un aménagement ; il a travaillé avec elle à reconstruire un planning et à organiser le temps de la collaboratrice pour redonner une perspective ; accompagnement qui a duré jusque tard dans la soirée et repris le lendemain matin ; annulation de tous les rendez-vous pris précédemment), donner en permanence du sens aux actions entreprises et demandées, partager la stratégie et la vision. Il faut aussi savoir lâcher prise ; gérer les jalousies et la culture française qui a toujours besoin d’une norme et/ou d’une classification.

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Trois approches différentes : une vaste étude conduite depuis quinze ans auprès de plus 1500 entreprises par McKinsey ; une enquête méthodique menée régulièrement auprès des salariés d’un grand groupe international, Danone ; le témoignage d’un DRH ayant éprouvé directement auprès de ses équipes les nouveaux paradigmes de la motivation… 

… pour un même enseignement !

Ce ne sont plus les instruments ou les process extrêmement sophistiqués de gestion du capital humain ; ce ne sont pas davantage les instruments- même stimulants- de rémunération au résultat ; ce ne sont pas non plus les process de mesure de ces résultats ; ce ne sont pas les challenges ou les systèmes  de compétition internes  chers aux équipes commerciales.. qui mobilisent les salariés. 

Ce que les salariés recherchent avant tout, c’est leur bien-être au travail, c’est le sens de leur action, c’est l’engagement durable de leur entreprise.

De solides remises en cause en perspective et un rôle à recomposer pour les nouveaux dirigeants …

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Propos recueillis par Philippe Wattier, avec l’assistance de Marine Nègre – Mai 2014

 

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