Cycle « Le sentiment d’un chaos ou l’émergence d’un nouveau monde »

Maison, Champs Elysées

Une des manifestations majeures du sentiment de chaos, éprouvé par les dirigeants, tient au nécessaire rééquilibrage des responsabilités entre des entreprises, qui devront être de plus en plus soucieuses de leurs écosystèmes et des Etats qui ne pourront plus assurer seuls les systèmes de redistribution des richesses, englués dans les déficits abyssaux des finances publiques et confrontés à une crise de défiance sans précédent.

Ce rééquilibrage devra s’opérer dans un contexte de vieillissement de la population, de crise durable de l’emploi avec en corollaire le spectre de la détérioration des régimes de protection sociale, mais aussi dans un contexte mondial où la perte de compétitivité de l’industrie française et la difficulté récurrente de la Société à se réformer menacent gravement sa pérennité.

Grâce à notre invité d’honneur qui fut un grand dirigeant d’entreprise (SNECMA, l’Aérospatiale, SNCF, EADS) et qui est aujourd‘hui, dans sa position de Commissaire Général de l’investissement, au cœur même des réflexions menées au plus haut niveau sur cette délicate cohabitation entre les entreprises et les pouvoirs publics, nous nous demanderons ce que les dirigeants que nous sommes, peuvent apporter à ce nécessaire rééquilibrage des responsabilités et ce qu’ils peuvent attendre des Pouvoirs Publics.

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Gaëlle Pellerin

Gaëlle Pellerin, Directeur de la Corporate Academy d’EADS, Partenaire du Cercle du leadership ouvre la conférence en présentant Louis Gallois.

Gaëlle Pellerin décrit Louis Gallois comme faisant l’unanimité sur sa capacité à sortir du chaos, les Hommes, les équipes et les entreprises. Fort de sa double expérience de chef d’entreprise et de grand serviteur de l’Etat, Louis Gallois est décrit comme le « Chevalier Blanc » dont la force tranquille lui permet de relever les défis du chaos. « La seule évocation de son nom entraîne l’adhésion des marchés financiers et des actionnaires, rassure les états, décuple les ventes et met en « chaos » la concurrence. Louis Gallois a cette capacité de fédérer les collaborateurs, quelle que soit leur génération. » De son expérience de collaboration avec Louis Gallois, Gaëlle Pellerin retient et souligne son intuition à anticiper un cap, et le tenir.

Après la gouvernance d’EADS en 2012, Louis Gallois aurait pu se consacrer à sa passion pour les livres anciens et l’histoire ; il préfère se mettre au service de l’Etat, pour défendre la compétitivité et l’excellence des entreprises françaises. Commissaire Général à l’Investissement et Président de la Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale – FNARS, Louis Gallois représente un trait d’union social et intergénérationnel entre les entreprises et pouvoirs publics.

Gaëlle Pellerin interroge Louis Gallois sur sa vision du leadership, dans une période où il est si complexe de définir le cap dans un environnement d’incertitude, voire de chaos.

Louis Gallois propose, au-delà de la thématique « Entreprises et Pouvoirs Publics : quelle conjugaison ?», d’approcher le débat par une réflexion sur la notion de culture d’entreprise.

Louis Gallois

Il décrit la culture d’entreprise comme tout à la fois insaisissable et décisive, notamment lorsque l’entreprise est en difficulté. Elle est pourtant essentielle, et fragile :

  • Essentielle, car elle rattache l’entreprise à son histoire. Il est en effet impossible de comprendre comment fonctionnent des entreprises comme Michelin ou PSA, si l’on ne connait pas leur histoire. La culture d’entreprise permet de nourrir la cohésion des équipes, de donner de la cohérence au travail et plus largement de donner du sens au travail des collaborateurs.
  • Fragile, car elle est très longue à bâtir et peut être détruite en peu de temps. Alcatel est un exemple d’entreprise qui a souffert, et dont, au cours des crises successives, la culture d’entreprise a été altérée.

Les changements actuels, tels que la rotation des équipes, le contexte économique de réorganisation, la remise en cause des organisations hiérarchiques, en particulier en lien avec l’émergence d’internet et des réseaux sociaux, impactent la culture d’entreprise. Les dirigeants se doivent de faire progresser l’entreprise, notamment en valorisant sa culture comme outil de compétitivité et de différenciation.

Entreprise et Pouvoirs Publics : quelle conjugaison ?

Louis Gallois propose des lignes directrices pour répondre à cet enjeu :

Etre clair avec soi-même.

C’est sur le terrain de l’éthique que le dirigeant est aujourd’hui attendu et sur son exemplarité. Le chef d’entreprise doit respecter et appliquer la culture et la discipline qu’il demande aux collaborateurs de l’entreprise, cela implique :

  • Un don de soi et un dévouement à l’entreprise ;
  • Une capacité à ne pas faire passer son intérêt personnel avant celui de l’entreprise ;
  • Une volonté de promouvoir autour de lui un comportement éthique et responsable :
    • La rémunération des dirigeants doit être cohérente avec la situation de l’entreprise ; être motivante mais pas confiscatoire.
    • Les comportements des dirigeants doivent être au diapason de ceux qui sont demandés aux collaborateurs surtout quand des efforts importants leur sont demandés.
  • Enfin, une aptitude à favoriser l’esprit d’équipe. L’équipe dirigeante doit fonctionner comme une équipe afin de diffuser la culture d’entreprise (exemple des risques de la somme d’égo au sein d’un comité exécutif). La performance de l’entreprise ne se résume pas à celle du dirigeant. Celui-ci devrait par ailleurs passer du temps avec ses équipes.

Etre clair avec les parties prenantes de l’entreprise

    • Le dirigeant doit comprendre les spécificités propres à l’entreprise. On ne peut, dans les faits, aborder de la même manière la gouvernance d’entreprises comme la SNCF, très ancrée sur le territoire national avec des traditions fortes et d’autres comme EADS, internationale et tournée vers les enjeux technologiques ;
    • Il doit avoir les idées claires sur la stratégie de l’entreprise. Si on n’identifie et ne montre pas le cap, il est irréaliste d’attendre que les salariés de l’entreprise le découvrent par eux-mêmes. Elle est informelle et diffuse, mais elle ne porte son potentiel positif que si elle est nommée et décrite précisément ;
    • Il doit être capable de résorber la coupure générationnelle liée à internet. Il existe une coupure réelle entre les plus de 35 ans, utilisant internet comme un outil et les moins de 35 ans qui « sont » internet. Cette coupure peut contribuer à remettre en cause les équilibres hiérarchiques fondés sur la maîtrise de l’information dans l’entreprise. Internet bouscule la réalité de ce monopole de l’information comme enjeu de pouvoir.
    • Il est nécessaire qu’il ait une conception éthique et cohérente des relations internes et externes de l’entreprise et que cette conception concerne les différentes parties prenantes. Le « chaos » ressenti n’exclut pas le maintien des repères éthiques. Ce cadre éthique doit diffuser partout dans l’entreprise afin que chaque partie prenante se retrouve dans la culture de l’entreprise et soit assurée que l’entreprise répond à ses intérêts propres, par exemple :
  • les Salariés attendent épanouissement personnel, sens du travail,
  • les Actionnaires, retour sur investissement, transparence, profitabilité, maîtrise des risques,;
  • les Clients/Fournisseurs veulent être respectés, recevoir des produits conformes à la promesse de l’entreprise,
  • les Partenaires recherchent une prise en compte de l’environnement local, du développement économique ;
  • enfin, les Partenaires sociaux réclament loyauté dans les relations, écoute réciproque, respect de la légitimité de chacun.

Entreprise et Pouvoirs Publics : quelle conjugaison ?

Etre clair dans son expression.

  • L’expression de la culture d’entreprise est informelle et diffuse, mais elle ne porte son potentiel positif que si elle est nommée, décrite et vécue précisément ;
  • L’expression de la stratégie doit être d’une clarté absolue. Si on n’identifie et ne montre pas le cap, il est irréaliste d’attendre que les salariés de l’entreprise le découvrent par eux-mêmes. Elle est informelle et diffuse, mais elle ne porte son potentiel positif que si elle est nommée et décrite précisément.

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Entreprise et Pouvoirs Publics : quelle conjugaison ?

Le débat permet de revenir sur les questions des relations entre l’Etat et les entreprises, sur la situation ambiante, sur la pression du court terme, sur les relations intergénérationnelles et sur le rôle des leaders publics ou privés dans ce contexte général.

« Pour tenir le cap, il faut en avoir un ! »

Louis Gallois :Entreprise et Pouvoirs Publics : quelle conjugaison ?

Comment le dirigeant peut-il maintenir le cap dans une situation si complexe ? Pour tenir un cap, il faut tout d’abord en avoir un à l’esprit, il faut l’exprimer et s’y tenir. Il est également important de garder une distance par rapport à ce qui se passe dans l’entreprise. Le dirigeant doit avoir une capacité à garder de la distance par rapport à l’évènement et être capable « d’un devoir d’indifférence » selon la formule de François Mitterand.

« Halte à la culture de mercenariat »

Comment sortir d’une vision individualiste, court-termiste de l’exercice du pouvoir et éviter que les changements de dirigeants imposés par les actionnaires ne détruisent la culture d’entreprise ?

Le problème vient principalement de la nomination de « mercenaires » à la direction des entreprises. Une culture d’entreprise forte, ancrée dans son histoire peut permettre d’éviter ce type de problème. Les grands groupes ne sont pas très exemplaires en la matière. L’immiscion du « Politique » est encore trop prégnante. Il faut retrouver un esprit PME et éviter les équipes de direction qui tournent en permanence au nom d’intérêt personnel de gestion de carrière.

Michèle Ferrebeuf

Les Conseils d’Administration doivent également montrer la voie, la valse des dirigeants au hasard des résultats annuels détruit la motivation et l’engagement des personnels. La déstabilisation rampante du chef d’entreprise par le Conseil d’Administration a également un impact très néfaste sur l’entreprise. Si un dirigeant n’est pas performant, sa sortie doit être conduite de manière ferme et rapide.

« L’entreprise a besoin de fraîcheur, d’innovation, d’insolence »

Gilles Marque

Comment résoudre la fracture intergénérationnelle et qu’en est-il de cette question dans la fonction Publique ? La friction intergénérationnelle est en partie due à l’utilisation d’internet. En effet, on ne peut pas attendre d’un cadre quinquagénaire qu’il maitrise internet comme un génération Y né avec l’outil. Mais par définition le temps finira par abolir cette source d friction. D’autres phénomènes sans doute plus profonds expliquent ce clivage.

Les modes d’éducation, les parcours des jeunes sont très différents de ceux des générations précédentes. De fait, les jeunes apprécient différemment les concepts d’horaires, de hiérarchie, de discipline… Cependant, il est important de tirer le meilleur parti de ces différences car elles apportent la créativité, l’innovation, la fraicheur, l’insolence dont l’entreprise a besoin. Cette friction pourrait être minimisée en acceptant, en expliquant et « explotant le phénomène. De expériences de groupes de travail intergénérationnels ont de ce poit de vue donne d’excellents résultats.

Le problème de génération est également posé dans le secteur public, mais on le retrouve avec une acuité plus forte. Cela est principalement dû à des capacités de management plus faible que dans les entreprises. L’Etat doit progresser aussi dans ce domaine-là ;des solutions existent par le recours a des entités plus petites.. On sait que les grands Ministères deviennent rapidement ingérables alors que des petites structures publiques – le Commissariat Général à l’Investissement formé d’une trentaine de collaborateurs seulement en est un bon exemple- peuvent être gérées manière plus proche et efficace.

« Retour à la culture d’entreprise … »

Au-delà des formations initiales, existe-t-il des moyens de former des leaders ? Certaines structures – l’exemple des SCIC (Société de Coopérative d’intérêt Economique) est cité-, ou certaines tailles d’entreprises -les ETI par exemple-, favorisent-elles mieux que d’autres l’éclosion des valeurs mises en avant au cours de cette conférence ?

Philippe Achalme

A ces questions Louis Gallois renvoie invariablement au même type de réponse : c’est la capacité d’une entité quelle qu’elle soit à exprimer et à diffuser une culture d’entreprise qui fait la différence ; et c’est la volonté des dirigeants à se fondre dans cette culture qui est déterminante. Certaine grandes entreprises savent former leurs cadres dirigeants (Saint Gobain, BNP Paribas, …). D’autres ont l’art d’obtenir de leurs dirigeants qu’ils se fondent dans la « culture Maison » (Air Liquide, Michelin), mais trop d’entreprises de grandes tailles n’ont pas suffisamment conscience de ses vérités élémentaires.

Catherine Abonnenc

Le patron d’une ETI ou d’une PME à la différence de celui d’une grande entreprise est assailli. Tous les problèmes de l’entreprise remontent assez rapidement vers lui car il n’a pas ou peu de filtres. Ainsi garder le sourire lui permet de montrer une maîtrise et une distance par rapport aux problèmes. Plus que d’autres il se doit d’être rassurant et ne peut se permettre de paniquer. Il retrouve naturellement les vertus essentielles du leadership.

C’est en particulier pourquoi il est important d’explorer d’autres formes d’organisation sociétales comme celles qui ont été citées car l’avenir sera certainement aux entreprises alternatives ou de tailles plus modestes avec des circuits de décisions plus courts et plus directs et une implication plus forte des salariés.

L’Etat de ce point de vue devra aussi se réformer pour restaurer les paramètres de la confiance.

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Quelle contribution nous apporte Louis Gallois au thème général du chaos et à celui plus spécifique des relations entre l’Etat et les entreprises ?

Tout d’abord il nous offre une posture.

La sienne est celle de la clarté : clarté du discours, clarté de la ligne, clarté dans le système de valeurs.

C’est aussi celle de la simplicité : celle qui permet de maintenir à la fois le lien social ou le lien générationnel trop souvent distendu dans notre Société.

Mais au-delà de cette posture qui émane avec force de sa personnalité, Louis Gallois nous invite aussi à éprouver le sens du Collectif que l’amoureux de rugby qu’il n’a cessé d’être met au premier plan. Le capitaine est celui qui guide les autres, mais il est un joueur comme les autres.

En filigrane on sent que ce patron, qui a dirigé des entreprises d’une taille considérable, qui dans sa position actuelle se trouve au cœur de décisions publiques de première importance, ne s’est jamais départi de cette conviction fondamentale : l’entreprise est avant tout une collectivité à taille humaine rassemblée derrière son drapeau par sa culture, par son histoire.

Trait d’union entre l’entreprise et la sphère publique, Louis Gallois œuvre pour que les deux mondes se comprennent mieux, pour que l’entreprise devienne plus citoyenne et pour que l’Etat participe davantage au soutien et au développement de la sphère marchande.

« Pour que la conjugaison entre l’Etat et les entreprises passe de l’imparfait au plus que parfait ».

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Propos recueillis par Antoine Spinelli, Delphine Paulet et Philippe Wattier

Photos : Chantal Bonhomme

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