La récente conférence que nous avons tenue avec Egon Zehnder et McKinsey sur le thème : « return on leadership » (1),  n’a laissé personne indifférent.

L’enquête menée pendant plusieurs années  -ce qui est rare en sociologie des organisations- sur plus de 5000 profils de cadres dirigeants dans une multitude de pays, force le respect par son sérieux et sa base scientifique. Elle tient qu’il y a une corrélation très forte entre les entreprises qui performent sur la durée et les qualités de leurs top managers. Jusque là rien de très impressionnant : on veut bien admettre que cette corrélation puisse exister ; c’est même  plutôt rassurant !

Mais l’originalité est ailleurs. Huit qualités-clés ont été identifiées et l’enquête est sans nuance : rien ne sert de les cultiver toutes, pourvu qu’on excelle dans un petit nombre d’entre elles.

Voilà des mondes d’idées reçues qui s’évanouissent !

La plupart des théories du management auxquelles l’on se réfère habituellement exposent que le leader idéal est une sorte de mouton à cinq pattes, doté généreusement par la nature et par son travail de toutes les qualités possibles :  visionnaire, capable d’anticiper les marchés, proches de ses clients, traqueur de résultat et de surcroit, apte au travail en équipe,  parfait organisateur, soucieux de son personnel et de son développement, engagé dans la cité …

Muni de ce portrait-robot, chacun s’attache à attirer au sein de son organisation cet oiseau rare.

Première erreur, nous disent de concert les deux cabinets ! Cette recherche est inepte.   Pourquoi ? Parce que cette personne n’existe pas… ou dans des proportions tellement limitées que le meilleur des limiers pourrait user sa vie active toute entière à la dénicher.

Admettons, répond-on candidement, cette personne n’existe pas, soit, mais alors recherchons celles qui s’en rapprocheraient le plus !

Deuxième erreur,  nous rétorquent les protagonistes de l’enquête, cette recherche « par dépit »  ne conduirait  qu’à nous procurer des « moyens bons » sur les huit critères identifiés et, ajoutent-ils, les « moyens-bons-sur-tous-les-critères », ça ne fait pas avancer une entreprise !

On y croyait pourtant, nous, à ce boss idéal, capable d’aller serrer les paluches le matin, se plonger dans les comptes les plus ardus, dénicher le nouveau produit qui ferait la différence, innover dans les technologies de pointe, rassembler et mobiliser toutes ces ressources même les plus rétives…

Mais nos orateurs persistent et  prennent le contre-pied de cette vision convenue.

Les spiky leaders

Les entreprises les plus performantes ne sont donc pas celles qui se sont acharnées à rechercher le leader idéal, au demeurant introuvable, ce ne sont pas davantage celles qui disposent d’un Comex parfaitement homogène, avec des moyen-bons à tous les postes clés,  non, ce sont celles qui ont recherché des « pointus », des « très pointus même » -les fameux  « spiky leaders »-,  dans un, deux,  exceptionnellement  trois des huit critères identifiés,  quitte à ce qu’ils soient parfaitement mal à l’aise dans les autres.

Statistiques à l’appui, ils considèrent que c’est déjà une tâche ardue – ces « spiky leaders » ne représentent que 17% de la population des top-managers- que de vouloir  les attirer, mais c’est une tâche indispensable car ce sont eux qui font la différence.

Vous êtes ce visionnaire que le monde nous envie, mais vous n’avez aucun sens des relations humaines, qu’importe vous êtes celui que nous recherchons ; vous êtes le meilleur des négociateurs commercial, mais sans aucune vision de l’organisation, nous avons besoin de vous ; vous excellez dans le dialogue social, mais n’avez aucun sens des affaires, vous êtes  la perle rare que nous convoitons…

Au diable  les décathloniens capables d’aligner honorablement toutes les épreuves, nous on veut le champion, celui qui étincelle au firmament de sa discipline.

On objectera qu’un tel Comex, formé de divas aux profils atypiques, peut se révéler ingérable ! Certes, mais tout l’art du leadership est contenu dans ce défi. Le rôle du leader n’est-il pas précisément là : fédérer les talents même s’ils sont supérieurs au sien pour les mener ensemble vers un résultat probant ?

Recherche défauts désespérément !

Alors, je me suis essayé à tirer de cette enquête quelques enseignements décalés :

D’abord, il ne faut pas chercher à être bon partout et il faut arrêter de le croire ou de le dire… Combien de candidats osent-ils avouer leurs défauts en entretien de recrutement ou d’évaluation, alors qu’ils sont si prolixes à énumérer leurs qualités ? Pourtant l’évaluateur n’est pas dupe. Avouer un défaut, c’est se grandir et c’est se servir car cela révèle en soi  d’indéniables qualités.

En second lieu, il faut apprendre à se connaitre, faire ce travail intérieur qui seul peut nous révéler à nous-mêmes,  poser sur soi un regard  lucide, avisé,  serein… A l’image du sculpteur qui façonne son œuvre, enlever de sa statue tout ce qui est inutile par retranchements  successifs, jusqu’à faire apparaître son vrai visage.  Rares sont les dirigeants qui ont effectué ce travail.

Une fois ce travail d’introspection mené à son terme,  il faut, à l’instar des sportifs de haut niveau, travailler ses points forts et oublier ses points faibles. Consacrer de l’énergie à ses points faibles, nous amènera à les élever au stade d’une honorable moyenne, tandis que travailler un point fort peut nous amener à l’excellence.

Il faut de surcroît commencer dès le plus jeune âge. Le virtuose, l’artiste, le sportif  se révèlent dès l’enfance… et à partir de cette disposition particulière de leur talent le développent toute leur vie. On objectera que le dirigeant n’est pas un virtuose et que sa matière -qui est celle d’un adulte- se façonne plus tard ;  certes, mais faire l’apprentissage de soi dès le début de la vie active reste  primordial.  Après, on peut changer le logiciel, plus le disque dur…

Enfin, si l’on est dirigeant, il ne fait surtout pas choisir des collaborateurs qui nous ressemblent, mais opter au contraire pour ceux qui sont les plus éloignés possibles de nous. Il  suffit d’observer la composition des Comex pour se convaincre qu’il y a encore du travail. De ce point de vue cette enquête apporte une pierre probante à la nécessité de la diversité.

Et puis… cette enquête a une vertu pédagogique incontestable. En ce qu’elle nous rappelle que l’être parfait n’existe pas, elle nous enseigne la tolérance et nous invite plus modestement à admirer les autres pour leurs qualités et à les accepter pour leurs défauts.

 

Philippe Wattier -0ct 2012

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(1) Competencies that Generate Growth, February 2011, Egon Zehnder International et McKinsey & Company