Parmi les nombreux thèmes que nous abordons à l’occasion de nos débats et de nos recherches sur le leadership, il en est un qui revient comme une vague d’autant plus incessante qu’elle est portée par l’actualité et suscite la curiosité permanente des medias et de l’opinion, c’est celle de l’exemplarité du dirigeant.. Le dirigeant devrait être exemplaire et bien sûr il devrait l’être plus que les autres !

Certes, pourquoi ne pas rechercher cette vertu en nous et nous y tenir sans faille et sans reproche ? Tout le monde le souhaite, tout le monde en rêve, tout le monde essaie, mais voila, peu y arrivent !

Pourquoi ? Parce que les dirigeants sont des hommes tout simplement !

Dès lors, la vraie question devrait être, non pas : « Le dirigeant doit-il être exemplaire ? », mais bien : «  le dirigeant peut-il être exemplaire ? Et là, quitte à choquer, je pense que la réponse est non !

D’abord je pense qu’on ne peut pas aborder cette question du seul point de vue de la morale. Est-on en droit d’exiger de nos dirigeants ce que l’on ne s’applique pas à soi-même, car ne nous y trompons pas, personne n’est totalement vertueux en ce domaine. Il se trouve simplement que plus on monte haut, plus les conséquences de la non-exemplarité sont visibles ;  on connait l’adage : « qui vole un œuf vole un bœuf… »

Mais j’irai plus loin encore, quitte cette fois-ci à déplaire ; plus on monte haut et plus, sans doute, il est difficile d’être exemplaire !

La littérature regorge de la description de ces situations. Je prendrai les deux plus grands  écrivains, à  mes yeux, pour illustrer ce point : Shakespeare et Dostoïevski. Dans « Roméo et Juliette », William Shakespeare dépeint des personnages qui ne sont ni fondamentalement bons, ni fondamentalement mauvais, mais qui sont faits de lumières et de ténèbres : « O brawling love, O loving hate ! ». Dans « les frères Karamazov »,  Fiodor Dostoïevski, met en scène des personnages -qu’il assimile à ce qu’il appelle « l’homme Russe »- qui côtoient en permanence les rives du bien et les récifs du mal.

On  connait par ailleurs le mythe désormais célèbre de « Docteur Jekkyl et Mister Hide ».

Les plus grands créateurs ont ainsi été écartelés  entre deux mondes : Goya peignait avec les Dieux et se vautrait dans l’infamie. Rimbaud tutoyait les étoiles et se fanait dans les abîmes …

Mais c’est le psychanalyste Jung qui a décrit le mieux cette dualité : selon lui le propre même du leader est de s’élever au-dessus des autres et au dessus de lui-même par un travail incessant et par un don total de lui-même. Or c’est précisément au cours de cette exploration  que l’homme va  aussi découvrir sa part d’ombre.

« Plus nous nous efforçons de devenir des êtres parfaits… », nous dit Jung, « …magnifiques méritants, plus l’ombre s’emploie précisément à rendre sa volonté sombre, mauvaise, destructrice. Que l’homme tente de se diriger vers la perfection, qu’il cherche à aller au delà de ses capacités, et l’ombre dégringole dans des enfers, devient diabolique ».

Alors oui, il est vain d’exiger d’un homme qui pousse ses limites supérieures à l’extrême de ne pas y rencontrer parfois son être obscur… !

Sommes-nous pour autant condamnés à être dirigés par des êtres ambivalents et, si oui, que faire pour éviter les risques de cette ambivalence

La réponse tient en  une formule : les contre-pouvoirs.  Le dirigeant vertueux ou exemplaire  n’est donc pas celui qui est moralement irréprochable, c’est celui qui -connaissant les risques- accepte de doter son organisation de garde-fous ou de contre-pouvoirs.

Appliqués à la politique, c’est évidemment la recherche des Institutions les plus démocratiques possibles et de la séparation des pouvoirs que Montesquieu nous recommandait déjà il y a deux siècles.

Appliqués à l’entreprise, c’est la recherche de la « bonne gouvernance » qui devrait amener les organisations à  mieux se protéger, à se diversifier, à éviter les nominations abusives les rémunérations hors normes, les confusions des rôles, les conflits d’intérêt, les absences de contrôles…

C’est quand il connait sa fragilité et qu’il s’appuie sur les autres pour y remédier que le dirigeant devient exemplaire !

Philippe Wattier, Septembre 2012

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