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Cycle d’études 2013 : « le sentiment d’un chaos ou l’émergence d’un nouveau monde »,

Conférence à la Maison, Champs-Elysées

 

Parmi les nombreuses causes qui expliquent « le sentiment de chaos » figurent en bonne place celles qui ont trait à ce que l’on peut appeler la perte d’influence du modèle occidental.

Depuis la Renaissance et a fortiori depuis le début de l’ère industrielle, l’Europe et l’Amérique du nord ont dominé le monde et tracé la voie. Ce  leadership est en train de se diluer sous l’effet de la montée en puissance des pays émergents, du vieillissement de notre propre modèle social -et par suite des déficits abyssaux de nos finances publiques- ainsi que sous l’effet de l’émergence d’une classe moyenne mondiale qui réclame sa part du gâteau, qui n’a sans doute pas le même souci de la préservation de son environnement ni de la défense de ses libertés individuelles mais qui en tout état de causes remet en question cet ordre mondial.

Quel leadership dans un contexte mondialisé ?

Notre réflexion -en présence de dirigeants internationaux de grands groupes français qui ont su s’adapter à cette nouvelle donne- s’est articulée autour de trois thèmes :

  • De  quoi est constitué ce leadership émergent ; grâce à quel « business model » il se développe et sur quelles relations économiques et sociales il se repose ? Quelles en sont les forces mais aussi les risques potentiels ? Nous nous intéresserons plus particulièrement, compte tenu de la provenance de nos invités, au modèle chinois et à celui des Pays de l’Est.
  • Quel  regard les dirigeants de ces pays émergents posent-ils sur le monde Occidental, comment nous perçoivent-ils ? Quel est leur analyse de notre perte d’influence sur les affaires du Monde ? quels aspects restent essentiels et positifs à leur yeux et quels types de relations ou quels échanges souhaitent-ils entretenir, -souhaitent-ils- avec nos pays ?
  •  Forts de ce double constat, nous avons déterminé ce qu’il convenait de modifier dans nos rôles de dirigeants pour faire face à ce nouveau contexte mondialisé.

Quel leadership dans un contexte mondialisé ?

 

Le débat a été animé par :

  • Michèle Amiel, Executive Vice President, Givenchy – LVMH Group,
  • Dinah Louda, Advisor on International relations to the chairman and CEO, Veolia Environnement,
  • Philippe Guitard, Executive VP for Central and Eastern Europe, Veolia Environnement,
  • James Zhang, Président  LVMH Fashion Division China,

Michèle Amiel

Michèle Amiel est l’Executive Vice President de la Maison Givenchy au sein du groupe LVMH. Elle est Docteur en Gestion et diplômée de l’ESSEC Business School.

Michèle Amiel a une large expérience internationale dans les affaires de Luxe où elle a exercé son leadership en stratégie de marque, creative et talent management et business development.

En 1992, elle débute sa carrière en créant son propre cabinet de Conseil en Stratégie, Change Management et organizational design. En 1998, elle rejoint le Groupe LVMH où elle occupe différents postes de management, à l’international, à la fois à la Direction Corporate du Groupe LVMH, puis chez Dior et enfin au sein du Groupe d’Activités Mode en tant que membre du Comité Exécutif.

Au cours des 20 dernières années, elle a fait preuve d’un leadership reconnu dans les domaines du luxe, de la créativité et de la mode.

 

Dinah Louda

Dinah Louda is senior VP, adviser on international relations to the Chairman and CEO of Veolia Environnement, the world’s largest environmental services group. Dinah joined Veolia as Executive VP for Communications of its water division, Veolia Water, in April 2006. She was previously Executive VP for Communications of AREVA T&D and Deputy to the Executive VP for Communications of AREVA  from October 2004.

Dinah Louda graduated from the Institut d’Etudes Politiques in Paris and holds a Masters in Political Science from Harvard. She began her career as a journalist, working for a number of French and international newspapers and magazines from 1983 to 1991,( L’Express, the International Herald Tribune, the New York Times, Business International…).

She quit journalism in 1991 to focus on corporate communications, joining the Victoire insurance group (now Aviva) as Director for European Communications. ,in May 2002, when she became Director of Communications for Crédit Agricole Indosuez.

 

Philippe Guitard

Philippe Guitard est ingénieur de l’Institut des Sciences et de l’Ingénieur de Montpellier (promotion 1984). Il commence sa carrière comme Ingénieur Projets-Responsable Eaux industrielles à la SOGEA (groupe CGE) en 1984.

Successivement Ingénieur exploitation à la Compagnie des Eaux et de l’Ozone de Bergerac, Philippe Guitard entre à la Compagnie Générale des Eaux en 1995 en tant que Directeur régional à Ponce (Puerto Rico).

En 1997, il rejoint la République tchèque en tant que Directeur de la filiale Vodarna Plzen. En 1999 il est nommé Directeur général Veolia Water pour la République tchèque et 2002 Directeur général Veolia Eau Europe centrale et Russie.

Le 15 février 2008, il devient Directeur Veolia Eau pour l’Europe (hors France). Le 8 juillet 2013, il est nommé Directeur Pays République Tchèque Veolia Environnement et Directeur zone Europe Centrale et Orientale Veolia Environnement.

 

James Zhang

James Zhang is the President of LVMH Fashion Division China.

A graduate in Management from the Fudan University, School of Management in Shanghai, James Zhang began his career in 1986 in sales starting at Sheraton Tianjin Hotel and Tianjin Coca-Cola Bottling Co., Ltd.

In 1997, he joined Pillsbury China Limited as General Manager. In 2002, he was appointed as Brand General Manager for Clinique at Estee Lauder Companies in China.

In 2007, he was appointed as General Manager of Parfums Christian Dior in China, and since 2010 he has been promoted and as President of LVMH Fashion Division China.

 

Le questionnement du leadership global est d’actualité et d’importance centrale pour tous les grands groupes européens qui se sont engagés dans la globalisation de leurs activités. Etre performant à l’échelle internationale implique d’adopter une approche holistique, intégrant et exploitant toutes les dimensions de la diversité internationale.

 L’exemple de LVMH (Michèle Amiel)

Au sein de LVMH, leader global de l’industrie du luxe depuis plus de deux décennies, le questionnement de la globalisation du Leadership est central et constant.

LVMH possède à la fois le scope et le recul historique pour prendre la mesure de cette nécessaire diversité, avec un portefeuille hautement diversifié : environ ¼ du chiffre d’affaires est réalisé aux USA, un quart au Japon, ¼ en Europe, le dernier quart dans le continent asiatique.

La réussite de cet ancrage global du business doit prendre sa source sur une stratégie et un management d’équipe globaux. Les activités de l’industrie du luxe sont directement impactées par les spécificités locales. La genèse de bons résultats nécessite de prendre en considération les spécificités des contraintes ou des attentes du marché local.

Le challenge pour les grands groupes internationaux comme LVMH est d’assurer la pérennité et la croissance des résultats dans ce contexte en s’appuyant sur une approche « glocale » : maintien d’une identité  mondiale cohésive, stratégie et management d’équipe locale pour prendre en considération les spécificités locales.

Il est essentiel de définir un modèle de leadership holistique qui couvre toutes les dimensions.

L’exemple de LVMH (Michèle Amiel)

Ce double ancrage global/local est parfois générateur de complexités et d’incompréhensions ; il nécessite avant tout une écoute mutuelle fine et une posture d’humilité réciproque entre les équipes internationales.

L’expérience a montré, au sein de certaines divisions, que les opérations menées directement depuis les headquarters parisiens sont parfois génératrices de difficultés localement. Une étude approfondie a été conduite pour mieux cerner les facteurs de réussite ; elle conclut que la meilleure façon d’opérer localement est la mise en place d’équipes mixtes internationales et locales.

Les organisations matricielles nécessitent une bonne communication, un travail d’équipe et une bonne compréhension entre les headquarters et les régions. La capacité et l’habileté à comprendre chaque culture ainsi que les comportements sont cruciales.

Elles nécessitent une véritable politique de diversité qui permet aux organisations d’être agiles et flexibles et d’aborder les problématiques sous différents angles ; ceci est crucial dans un monde en changement et en mutation. Idéalement, le leadership global devrait s’envisager avec curiosité, empathie, humilité et attention.

Quel leadership dans un contexte mondialisé ?

 Quel est le style de leadership chinois ? (J. Zhang)

Avec plus de 30 provinces, la Chine représente aujourd’hui 1 milliard 42 millions d’habitants. James Zhang en garde contre l’erreur de ne voir qu’une Chine, un seul marché chinois. « La plupart d’entre vous, occidentaux, ne connaissez de la Chine que Shanghai ou Beijing, qui ne sont que deux des grandes villes chinoises, et représentent une toute petite partie de la Chine, plus de 700 villes chinoises dont la population excède les 3 millions d’habitants ».

Il s’agit là d’un enjeu territorial immense. La Chine est géographiquement grande comme l’Europe entière, et intègre une grande diversité de langages, de cultures, d’habitudes de vie quotidienne comparables à celle que l’on peut rencontrer entre un pays du nord et un pays du sud de l’Europe.

Pour les dirigeants locaux, comme par exemple de LVMH, cela signifie que la communication avec les medias, les clients, les fournisseurs doit être complètement adaptée localement. Les  goûts et habitudes d’achat de chaque province sont divers, l’entreprise est amenée à s’y conformer.

Quel que soit le leader Chinois considéré, tous s’accordent à considérer que le leadership est une affaire de cœur et d’engagement, et que c’est ce qui le différencie concrètement du management.

Les spécificités du leader chinois ? James Zhang en dénombre quatre, qu’il attribue aussi bien aux dirigeants nationaux qu’aux dirigeants d’entreprise.

1/ Ce sont des entrepreneurs par essence

2/ Ce sont toujours des  grands travailleurs

3/ Ils sont responsables vis à vis du risque qu’ils assument

4/ Ils recentrent leurs actions sur l’humain

Il apparait aujourd’hui essentiel, pour ce dirigeant, que les occidentaux apprennent à mieux connaître les chinois,  de même que les chinois doivent prendre le temps d’apprendre des occidentaux, afin de construire des solutions intelligentes de collaboration à bénéfice mutuel.

« A l’image de ce qu’écrivait Sun Tzu dans l’Art de la Guerre que j’ai étudié à l’école, « “If you know the enemy and know yourself, you won’t fear the result of a hundred battles.»

 L’exemple de Veolia Environnement (Dinah Louda, Philippe Guitard)

On peut faire un certain nombre de parallèles ici, avec la situation de Véolia.

Entreprise née francaise, devenue acteur majeur international, avec 220 000 employés, Véolia est finalement plus une entreprise « multi-locale » qu’une entreprise « internationale » ou « multinationale ».

Tout comme LVMH est amené à  proposer des tons différentiés de rouge à lèvres pour les différentes villes chinoises, Véolia doit répondre à un portefeuille client composé à 70% de municipalités, grandes et petites, disséminées mondialement, possédant leurs fonctionnements, réseaux, standards et attentes hautement spécifiques.

L’exemple de Veolia Environnement (Dinah Louda, Philippe Guitard)

De même, les conditions locales d’accès ou de qualité de l’eau ne sont jamais identiques, et nécessitent toujours une prise en charge parfaitement adaptée au contexte local, sous l’ombrelle globale de Veolia.

En Europe de l’Est, à seulement une ou deux heures de vol pour Prague, Bratislava ou Sophia, les conditions de travail et de marché sont très différentes. Les salaires minima, bien que progressivement réajustés, restent très inférieurs aux normes d’Europe de l’ouest, pour des semaines de travail plus longues (42 heures par exemple en Slovaquie) réalisant un avantage compétitif significatif. Cette zone d’Europe aspire avec force à la progression de ses conditions de vie, et les enjeux financiers constituent pour eux un driver central.

Au sein même de la zone Europe Centrale et Est, en fonction des pays et zones géographiques considérées, la perception du groupe français sera radicalement différente ; ceux qui ont depuis toujours été sensibilisés à la présence d’entreprises internationales, comme la république Tchèque (avec l’expérience de Skoda) acceptent facilement les acteurs locaux issus d’entreprises non nationales. A titre d’exemple, en République Tchèque, les ratios de vente par habitant dépassent ceux construits en plus de 150 ans de présence sur le territoire français.

D’autres percevront au contraire Veolia Central & Eastern Europe comme un groupe « étranger » menaçant l’équilibre économique local, cependant même que sur les vingt mille employés de la filiale, seuls 2 sont des expatriés.

La posture que recommande Philippe Guitard est une attitude d’humilité : rester à l’écoute, savoir s’adapter aux besoins et aux attentes, secteur par secteur.

 Comment les dirigeants chinois perçoivent-ils nos leaders occidentaux ?

A cette question, James Zhang établit un distinguo entre les leaders européens et ceux d’Amérique du Nord.

Si aux yeux des dirigeants chinois, les Etats Unis semblent engagés sur le chemin du progrès, les discussions autour du futur de l’Europe sont nombreuses, et intéressent les leaders chinois.

La plupart s’étonnent du pessimisme excessif du peuple européen en général, français et espagnol en particulier, dans des pays si valorisés à l’international, notamment pour la beauté de leur territoire.

Les pays européens semblent avoir perdu confiance en eux, oubliant leur culture et leurs forces historiques. Les pays européens sont comme « une grande famille dont les membres, dépourvus de parents forts pour guider le chemin, se battent pour mettre en avant leur propre bénéfice, sans chercher à contribuer à soutenir la famille ».

« Certains européens ne réagissent pas assez vite, les décisions paraissent à minima lentes, et souvent le processus de décision n’aboutit pas. « 

« La Chine change chaque mois, Shanghai change chaque jour, tous les business et services évoluent très vite. Difficile de comprendre, et de travailler avec,  la lenteur des processus et activités européens, les limites mises au temps de travail, lorsque l’on vit avec la rapidité dans tous les secteurs, toutes les activités, de service notamment. » 

Pour J. Zhang, l’Europe doit regarder ce changement en face, et rattraper son retard, notamment en créant une atmosphère plus positive et plus motivante pour le travail.

Parallèlement, les chinois ont besoin d’apprendre à travailler avec les européens en étant plus proactifs, et progresser en termes de process et  de consistance.

 Y a t-il encore une Europe ?

Réponse de Philippe Guittard : Des pays comme la Bulgarie ou la Roumanie se sont clairement engagés dans la démarche de profiter de la « vieille » Europe. Mais Varsovie, Prague, Sophia ou Bucarest ont changé radicalement. Les pays « grandissent » et deviennent maintenant, au sein de la « famille », des adolescents plus « raisonnables » ; ainsi le gap du niveau de salaire entre Slovaquie et France est passé de 70 à 25 % en quelques années. Les habitants de ces pays souhaitent bien sûr, avant tout, accéder au confort que connaissent les européens de l’ouest.

Intervention de Christel Heydemann , Executive VP Human Resources, Alcatel

Intervention de Christel Heydemann , Executive VP Human Resources, Alcatel

Alcatel est une entreprise très internationalisée. Le challenge qui se pose de façon récurrente est celui du développement d’un leader local (chinois par exemple) en un leader global. On s’aperçoit que le langage est un challenge majeur et peut réellement constituer un point bloquant.

La réponse à ce challenge, selon Michèle Amiel, tient au moins en partie à l’ouverture d’esprit de tous. La nouvelle génération, plus connectée, née dans un monde globalisé, est davantage préparée à ces challenges.

A Veolia, de grands résultats ont été obtenus à l’issue d’un projet de jumelage entre les managers européens et ceux de la région Asie Pacifique : les échanges ont intéressé aussi bien les aspects opérationnels que culturels. Commencé comme un projet, l’initiative a pris de l’ampleur et a grandi, notamment grâce aux échanges informels, qui ont permis l’échange de bonnes pratiques, et un véritable apprentissage mutuel.

La rédaction d’un Code de conduite des managers, a permis par ailleurs de recentrer et normaliser les pratiques mondialement, promouvant un éventail de comportements et règles à adopter.

Bruno Luc Banton rappelle qu’il y a finalement peu de temps, les exécutifs américains qui arrivaient en France ne cherchaient pas à parler français. A l’époque, la ligne directrice était « Pensez local, agissez globalement », et non l’inverse qui est actuellement prôné.

Le leadership global au féminin ?

Selon J. Zhang, les femmes en général sont influentes en Chine, avec de plus en plus de femmes aux postes exécutifs, et beaucoup d’entreprises innovantes crées par des femmes. « C’est une tendance forte qui semble parfois être génératrice de solitude, et d’insécurité pour ces femmes, avec un autre challenge à relever. »

Sans chiffre exact en mémoire, James estime que le chiffre doit se situer entre 10 et 15 %, et précise qu’elles rencontrent de grands succès.

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 Cette conférence nous a conforté dans l’idée que l’Europe et la France avaient de larges atouts à faire valoir dans la globalisation qui est en marche. Elles restent largement en avance sur le plan technologique  ; elles ont des infrastructures qui rendent plus aisés les investissement productifs et restent -même si cela paraît  suranné- les pays d’un certain savoir-vivre recherché dans le monde entier ; elles sont aussi des exemples de démocratie et ont mieux que d’autres compris la nécessité de la préservation de l’environnement.  Enfin, elles demeurent des lieux d’éducation et d’expertise pointus. C’est donc en misant sur ces qualités d’expertises et sur ces talents que l’Europe peut continuer d’affirmer un leadership mondial. Par contre, cette même Europe est encore perçue comme engluée dans ses immobilismes : celui de son droit du travail, particulièrement en France, celui d’un certain repliement  linguistique qui empêche de partir à la conquête des marchés ; celui d’un manque d’opportunisme  et de réactivité commerciale et celui d’une difficulté récurrente à se réformer pour s’adapter aux exigences du temps. 

De quoi retrouver une confiance perdue et des axes de progrès !

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Pour nourrir nos réflexions et approfondir le sujet, cliquez ici pour accéder à l’étude « Perspectives on global organizations », à laquelle a participé Pascal Baumgarten de McKinsey & Company

 

Propos  recueillis par Delphine Paulet et Philippe Wattier

Photos : Chantal Bonhomme

 

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