REMUNERATION DES DIRIGEANTS Limites d’un décret, responsabilité des médias, bonnes pratiques et pistes à privilégier par Didier Vuchot, Président Europe Korn Ferry International

Vignette Didier Vuchot - Directeur Europe Korn Ferry International

 

Afin d’endiguer le tsunami provoqué par la médiatisation de rémunérations excessives de quelques patrons, le Gouvernement a finalement décidé de prendre un décret.

Incontestable dans ses intentions, cette mesure risque de traiter une partie seulement du problème. Pour plusieurs raisons.

Il n’est pas question ici de blanchir ceux qui ont commis des abus. Leur médiatisation est le meilleur antidote à leur irresponsabilité. Son effet a été immédiat pour la plupart de ceux qui ont confondu leur intérêt personnel avec l’impératif de rentabilité de l’entreprise. Elle a aussi découragé ceux qui pensaient « passer entre les gouttes ».
Enfin, elle a achevé de convaincre ceux qui sentaient que la situation invitait à la décence…

Les médias à l’origine d’une fonction curative.. . et de dommages collatéraux

Mais il est peu probable que l’opinion se contente d’un décret pour calmer la colère qui l’anime depuis plusieurs semaines, largement attisée par certains médias. La fonction curative utilement remplie s’accompagne pourtant de dégâts collatéraux dévastateurs, dont l’amalgame est le violent ferment.

En effet, que ce soit par ignorance ou par démagogie, l’assimilation sans nuance de la partie fixe et des éléments variables d’une rémunération est déplorable : un salaire est un salaire, un avantage en nature est un avantage en nature, idem pour les « retraites chapeaux », bonus, stock-options … armes incontournables d’une réelle guerre des talents !

De même,il n’est pas acceptable de « traiter sous un même angle » les rémunérations qui sanctionnent une performance avérée et les rémunérations excessives de quelques dirigeants. Que dire de la confusion qui consiste à confondre ceux qui conduisent des entreprises indépendantes et d’autres qui dirigent des organisations subventionnées, à un titre ou à un autre, par l’Etat…

Un dirigeant qui conduit une entreprise au succès dans la durée mérite une reconnaissance sonnante et trébuchante !

Malheureusement, le mal est fait et il faudra du temps avant que les français acceptent qu’un dirigeant qui conduit une entreprise au succès mérite une reconnaissance sonnante et trébuchante !

Néanmoins, la prise de conscience qui s’opère devrait limiter la fracture financière qui ravage un tissu social particulièrement fragilisé par la crise. A la condition de déboucher sur des changements de pratiques concrets. A l’instar de ceux opérés par une très grande majorité de chefs d’entreprises.

Au premier rang d’entre eux, les patrons de petites et moyennes entreprises. Ils vivent à proximité de leur corps social et savent donc très bien ce qu’il accepte et ce qui le révolte. Au delà, des milliers de dirigeants d’entreprises plus importantes, s’acquittent de leurs énormes responsabilités en échange de rémunérations acceptées.

Que faire alors pour éviter que de nouveaux excès ne se reproduisent ?

Notre cœur de métier consiste à accompagner les Conseils d’administration et les équipes de direction dans la recherche et la mise en œuvre de bonnes pratiques. Certains moquent ce qu’ils considèrent comme une mode managériale et qui constitue pourtant une prévention efficace de plus en plus souvent adoptée : le gouvernement d’entreprise.

Nombre de patrons ne sont pas obsédés du bonus et du parachute doré

Cette discipline a incontestablement permis de réels progrès. Car nombre des patrons que nous rencontrons ne sont pas obsédés du bonus et du parachute doré ! Ils sont légion à rechercher l’équilibre entre l’impératif de rentabilité et leur conscience sociétale, leur sens de l ‘équité et leur conviction éthique. Ils sont majoritairement concentrés à batailler avec leurs concurrents, sans maltraiter leurs « troupes ». Ainsi, ils s’appliquent à mettre en place et à respecter des règles et des normes qui conduisent à plus de respect et de transparence.

Pour preuve, l’accroissement du nombre de Comités spécialisés travaillant à la préparation des décisions des Conseils d’administration ou de surveillance, en matière de rémunération notamment.

Evoquons également les dirigeants qui ont abandonné des indemnités pourtant contractuelles ou ceux qui ont fixé des salaires « raisonnables » et des indemnités « acceptables », liés à des critères objectifs de réussite ou d’échec, largement communiqués à leurs « parties prenantes ».

L’effort de transparence n’a pas conduit à la modération attendue

Si cet effort de transparence n’a pas toujours conduit à la modération attendue, il permet de mieux analyser la réalité des pratiques. Ainsi en France, au cours des dernières années, la rémunération des dirigeants a progressé plus vite que la moyenne des salaires… Mais il est aussi vrai que les rémunérations des dirigeants des entreprises les plus visibles ne sont pas toujours les plus élevées, de même que les rémunérations de certains experts sont souvent plus importantes que celles de leur patron.

Ce rappel aux nombreux « trains qui arrivent à l’heure », dont on sait qu’ils intéressent moins les médias que ceux qui sont en retard, ne doit pas exonérer d’un indispensable aggiornamento des règles de rémunérations des dirigeants.

Les administrateurs doivent assumer leur responsabilités

Il faut tout d’abord rappeler que la définition des rémunérations des dirigeants relève des administrateurs. Ils doivent assumer leurs responsabilités.

Ils peuvent s’inspirer de principes qui ont fait leurs preuves:

• lier la rémunération des dirigeants à une meilleure redistribution des fruits de la croissance entre salariés, investissement et actionnaires,

• placer la performance au cœur du dispositif de rémunération, en définissant des critères d’attribution des rémunérations variables, qu’elles soient en cash, en stock options ou en actions gratuites,

• inviter le dirigeant à acquérir des actions pour marquer son engagement et sa solidarité.

Des principes, des règles…  sans démagogie ni dogmatisme

Ils peuvent aussi adopter des règles dont l’efficacité est garantie :

• supprimer le cumul d’un mandat social et d’un contrat du salarié,

• limiter l’indemnité de départ d’un dirigeant après changement de contrôle et/ou de stratégie à un maximum 2 ans de salaires, clause de non-concurrence comprise,

• interdire la décote sur les stock options,

• définir le calendrier d’exercice des options au moment de leur attribution,

• inclure les« retraites chapeaux » dans la rémunération globale,

• encadrer les bonus des traders et les payer le plus souvent en titres,

• prohiber les rémunérations forfaitaires plafonnées.

D’autres pistes existent et des innovations sont possibles, que le contexte impose d’explorer. Mais les nouvelles règles devront être harmonisées au sein du G7 puis du G20, au risque de la vulnérabilité de nos entreprises.

Les excès commis gênent les dirigeants dans la conduite de leurs entreprises au quotidien. Ils ont intérêt à imaginer un nouveau dispositif qui redonnera une plus juste place au moyen et au long terme, au projet et à la stratégie.

Un nouvel ordre financier résultera d’un travail de fond, conduit avec toutes les parties impliquées, réalisé à partir de bonnes pratiques effectives, en dehors de toute démagogie, sans dogmatisme, loin des postures partisanes et des querelles politiciennes.

Didier VUCHOT
KORN FERRY INTERNATIONAL
Président Europe

May 2009