Philippe Wattier
« Les nouveaux dirigeants ne pourront pas ressembler aux anciens. Le monde a changé. Il n’a plus besoin de leaders, il lui faut des serviteurs.

Aujourd’hui si vous prétendez être grand, fort et courageux, on vous rétorque : ah oui, vraiment ! Mais pouvez-vous résoudre la crise économique ? Et la réponse est non. Pouvez-vous mettre fin au terrorisme ? Non. Pouvez-vous nous apporter des informations que nous n’avons pas déjà ? Non. Avez-vous un message à nous délivrer ? Non.

Dans l’ancien monde il fallait des souverains pour conquérir et défendre la terre. Il fallait des guerres, il fallait des généraux…

Aujourd’hui c’est la science qui gouverne et aucune armée ne peut en venir à bout. Aujourd’hui le monde est une globalité, faite d’individus. Aujourd’hui être jeune est toujours aussi fantastique mais beaucoup plus coûteux. Et la démocratie ne consiste plus à s’engager à ce que tous soient égaux, mais à ce que chacun puisse être différent tout en étant traité également. Elle n’est plus la revendication de la libre expression, mais de l’auto expression pour ne pas tomber dans le trou noir de la globalité. Nous devons le comprendre et laisser la jeunesse bâtir un monde différent. Forts de notre expérience nous faisons peut être un bon boulot mais pour un monde qui n’existe plus. Alors je m’évertue à être aussi jeune que mes rêves  et  surtout à ne pas devenir aussi vieux que mon histoire. »  (1)

Ainsi parle l’un des principaux « leaders » du Monde, qui a servi son pays pendant 60 ans, qui a tutoyé la paix avec les Palestiniens au moment des accords d’Oslo en 1993, qui fut un grand chef politique et militaire, «  sûr de lui et dominateur »,  pour reprendre le mot célèbre du Général de Gaulle, mais qui, au crépuscule de sa vie, n’a plus que des choses justes à nous raconter : Shimon Pérès !

On notera que le Pape François ne dit pas autre chose lors de la messe inaugurale de son pontificat : « avoir du pouvoir, c’est être  un serviteur. »

Les propos sont ceux d’un homme politique ou d’un religieux, certes,  mais ils peuvent parfaitement s’appliquer au domaine de l’entreprise. Quel dirigeant peut aujourd’hui se permettre de penser qu’il va résoudre à lui seul les questions de son entreprise, elle-même partie prenante d’un écosystème complexe, lequel écosystème devient global ?

Le dirigeant n’est plus l’homme omniscient ;  la complexité de son environnement est telle qu’il doit accepter que d’autres soient plus savants que lui dans certains domaines, ce qui était impensable dans le monde ancien ; son rôle est de « savoir relier » les hommes entre eux, sans que cela ne passe nécessairement par lui ; de fédérer les disciplines et les cultures ;  de favoriser la diversité de ses collaborateurs ;  de « lâcher prise » pour laisser sa part aux initiatives des plus jeunes, de faire cohabiter des générations aux attentes si diverses ; de s’ouvrir au monde ; d’être résilient.

Depuis que nous réfléchissons au Cercle à l’émergence de ce nouveau monde qui naît sous nos yeux, nos convictions s’affinent et s’affirment peu à peu…  Nous n’en mesurons sans doute pas encore la portée ni les innombrables conséquences, mais le chemin s’éclaire… les propos de ces  grands hommes  confirment cette tendance : si nous voulons la comprendre, il faut nous habituer à de sérieuses remises en cause. Shimon Pérès et le Pape François nous enseignent que ce n’est pas une question d’âge -le premier a 90 ans, le second, 76 ans- mais bien d’état d’esprit !

 

Philippe Wattier – mars 2013

Propos recueillis par Olivier Royant et Caroline Mangez in Paris-Match,   N° 3330,  14 mars

 

 

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