CRISE DE CONFIANCE DANS LE MANAGEMENT

– quel rôle et quelle légitimité

pour les défis du 21e siècle ?

Invité d’honneur :

Docteur Richard Straub
Docteur Richard Straub
Président de la Peter Drucker society

 

Following a 32 years long international career with IBM, Dr. Richard Straub has taken on various roles since 2006 as a self-employed « portfolio entrepreneur ». These include part-time leadership roles in international nonprofit organizations such as the EFMD (European Foundation for Management Development) as a member of the executive team and Secretary General of the European Learning Industry Group and (ELIG) and an advisory role for IBM Education Industry. In 2008 Richard Straub has founded of the Peter Drucker Society of Austria which organized the First Global Peter F. Drucker Forum, Vienna in 2009. Beginning of 2010 he also became the president of the newly established Peter Drucker Society Europe.

Richard Straub est membre du Cercle du leadership.

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Éléments du débat

Dans le contexte de crise prolongée que traversent les économies, à l’heure du Web 2.0, face à une génération Y qui n’a plus les mêmes attentes ou les mêmes comportements à l’égard de l’entreprise, quel est le rôle et la légitimité du management – et notamment du management intermédiaire – au sein de nos entreprises ?

Sous la pression de la mondialisation et une complexité accrue pour gérer une entreprise moderne, les entreprises cherchent des réponses nouvelles.

Est-ce que l’innovation du management sera la réponse et si oui dans quelle direction ? Peter Drucker, le fondateur du management moderne avait toujours tenté d’anticiper les défis du futur et donné des orientations générales pour y parvenir. Est-ce possible de recourir à ses idées pour avancer le management vers des nouveaux horizons ?

Est-ce qu’au contraire le management intermédiaire a vécu, victime de la crise de confiance dans l’autorité, du besoin d’autonomie des salariés et des perspectives ouvertes par les NTI ? Si oui, par quoi le remplacer ?

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L’importance de Peter Drucker de nos jours

En évoquant Peter Drucker il faut se rappeler tout d’abord qu’il était européen bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie aux Etats-Unis. Il a quitté l’Autriche à l’âge de 18 ans et l’Europe à 28 ans. Il a vécu l’ascension du totalitarisme en Europe – le Nazisme, Staline, Mussolini et Franco. L’œuvre qui a constitué le fondement de sa réputation dans les pays anglo-saxons « The end of Economic Man » était entièrement focalisée sur une analyse de la société. Ce n’était pas encore une œuvre consacrée au management. Winston Churchill l’a d’ailleurs commentée à l’époque dans le « Times Literary Supplement ».

A partir de son expérience traumatisante de la crise des années 30 et de l’accession au pouvoir de leaders « charismatiques » il se souciait du bon fonctionnement de la société. Ce qu’il a apporté à la pensée sociologique c’est sa conception de la Société comme un réseau d’organisations et d’institutions qui doivent être animés par une nouvelle classe professionnelle – les managers. Drucker parvenu à l’idée que le management était l’organe principal de la société moderne et que sa prospérité et son déclin étaient largement influencés par la qualité, la sincérité et les valeurs de son management. Drucker ne limitait pas son champ d’exploration aux seules entreprises mais il se référait à toute sorte d’institutions de la société – les universités, les hôpitaux, les services publics, etc., car tous sont des organismes qui doivent agir d’une façon collective pour générer de la valeur ajoutée pour la société selon leur mission – ils ont besoin de performance et de résultats.

En tant qu’humaniste et chrétien, Drucker plaçait toujours l’être humain au centre de sa réflexion. La dignité de la personne était primordiale dans sa pensée. Elle se manifeste dans la société industrielle moderne dans un statut et une fonction pour l’individu.

Avec son approche ancrée dans la société, ce qui implique une pensée couvrant plusieurs disciplines, Drucker se désignait lui-même comme écologiste social, c’est-à-dire comme quelqu’un qui observe et analyse l’environnent sociétal créé par l’homme même. Avec la crise actuelle on peut bien voir les dangers qui émanent de la mauvaise gestion de l’écosystème social.

La pensée de Drucker était toujours marquée par le bon sens, le pragmatisme, la rationalité et la tolérance.

Sur la base de ses idées portant sur la société, Drucker a développé une vue systématique et compréhensive du management, dont la plupart des principes sont toujours valables, comme par exemple, les responsabilités du management, le fondement du marketing, le leadership des collaborateurs, etc. Comme il avait aussi la faculté de discerner des tendances et développements émergents plus tôt que d’autres, il pouvait aussi évaluer l’impact de ces développements sur le management. Ainsi fut-il le premier dés les années 50 a évoquer le Knowlege Work et les Knowledge Workers – le management par la connaissance.

Bien que dès son plus jeune âge il ait été en contact avec des économistes éminents de son époque, comme Schumpeter, Hayek et Von Mieses – plus tard il a également rencontré Keynes à Cambridge – il gardait une distance, voire une méfiance envers les économistes à l’exception notable de Schumpeter.

Alors que Schumpeter mettait l’entrepreneur en tant que concept au centre du modèle capitaliste – la force dynamique, innovatrice qui engendre même la destruction créatrice – Drucker préférait décrire le rôle et le comportement de l’entrepreneur innovant.

Au delà du contenu que Drucker nous laisse dans 39 livres et d’innombrables articles, son approche et sa méthode pour aborder les questions du management méritent d’être mis en valeur. Pour lui le management était un art libéral et une discipline mais pas une science au sens propre du terme. Pour cette raison la communauté académique n’était pas toujours positive envers lui.

Au sein de la « Peter Drucker Society » Drucker n’est toutefois pas considéré comme un gourou. Il est considéré comme un des grands esprits du XXe siècle, dont les idées et la méthode sont toujours actuelles et peuvent contribuer à faire évoluer le management dans une bonne direction. La « Peter Drucker Society » partage avec Peter Drucker sa foi dans le potentiel de l’être humain, dans sa dignité et dans les valeurs du monde occidental. En tant qu’Association a but non-lucratif, la « Peter Drucker Society » fait partie d’un réseau mondial. En Europe elle réunit un réseau d’institutions académiques et des membres du monde de l’entreprise ainsi que des adhérents individuels. La Peter Drucker Society est associée avec l’institut Drucker à Claremont ainsi qu’avec la Drucker School au Claremont Graduate College (USA).

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Exposé

Dans la présentation (supra) de l’importance de l’œuvre de Peter Drucker, le rôle constitutif qu’il attribuait au manager dans la société moderne – une société d’organisations et d’institutions – a été mis en avant.

La question se pose donc aujourd’hui de savoir comment les managers sont en mesure d’exercer ce rôle avec une légitimité sociétale lorsqu’il y a une défiance profonde au sein du public envers eux. Tous les sondages marquent une défiance envers les dirigeants pour résoudre les problèmes pressants qui sont aujourd’hui les nôtres. Les dirigeant et cadres sont soupçonnés de s’intéresser en premier lieu en leurs gains personnels et de montrer peu de souci pour le bien commun. Ce jugement peu choquer de par son caractère abrupt, mais il correspond pourtant à une perception de l’opinion.

Cette tendance est aggravée par la crise économique.

Pourtant notre société a besoin d’une élite managériale compétente et appréciée pour gérer les grands défis….
Dans un monde de plus en plus occulté par des fondamentalismes de toutes sortes : religieux, politiques, économiques et écologiques, il apparaît plus important que jamais de rechercher la logique, la rationalité, le savoir faire du leadership, la gestion de l’innovation, l’entrepreneuriat – et tout cela dans un esprit de responsabilité -.

C’est pourquoi, l’enjeu pour le management est de gagner ou de regagner leur légitimité. Au cours des années 60 et 70 (les trente glorieuses), cette nouvelle classe de managers était admirée et respectée. Nous avons souvent la mémoire courte ! C’est seulement dans les années 80 et suivantes que le respect commence à être écorné au profit de la crainte et défiance sous l’effet de la nécessité des gains à court terme et la philosophe du « Sharehodler Value ».

Les responsabilités fondamentales du management

Pour aborder cette question il peut être intéressant de se rappeler comment Peter Drucker définissait les tâches et les responsabilités principales dévolues au management :

  • définir et réaliser l’objectif spécifique et la mission de l’organisation, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un Service Public, d’une université ou de toute autre institution. Dans le cas d’une entreprise marchande cela recouvre naturellement une exigence de performance économique ;
  • assurer la productivité du travail et des collaborateurs ;
  • gérer de façon responsable son influence et son impact sur la Société.

Son humanisme n’a jamais empêché Peter Drucker d’être totalement clair sur la nécessité pour le management d’être performant. Mais il a aussi toujours insisté sur la nécessité pour les cadres et dirigeants de mettre leurs collaborateurs en position de réaliser leur potentiel, en fonction leurs points fort et leur compétences.

Par ailleurs sans performance économique il n’y a pas d’engagement possible à l’égard de la Société.

Un débat, enclenché par l’article de Michael Porter et Mark Kramer dans le Harward Business Review, début 2011, « Créer la valeur partagée » (voir le lien à la fin de cet exposé) rappelle bien ce double impératif. L’article se fonde sur les responsabilités managériales telles que Drucker les définit, mais ajoute un élément nouveau : la nécessité de mener simultanément création de valeur économique et création de valeur sociétale. Cela veut dire de percevoir la performance économique sous l’angle des besoins de la société. Cette perspective va au-delà de la RSE traditionnelle puisqu’elle se focalise sur le cœur de métier et non sur des initiatives périphériques.

L’hypothèse ici mise en avant est la suivante : on ne peut créer la valeur ajoutée combinée pour l’entreprise et la société d’une façon pérenne que si les collaborateurs sont, eux-mêmes, mis en valeur. L’épreuve de vérité pour vérifier si les prétentions affichées par les entreprises en matière de développement durable sont crédibles, c’est d’observer la façon dont les collaborateurs sont traités.

Si ce traitement n’est pas adéquat, alors nous parlons de mesure de façade, de poudre aux yeux.

Un constat accablant

L’heure de vérité a donc sonné. Regardons comment les pratiques RH ont évolué au cours des dernières décennies. Tous les sondages pointent les mêmes constats. Il y a une crise de confiance généralisée, une diminution de l’engagement volontaire des collaborateurs à large échelle. La multiplicité des suicides (les plus médiatisés étant ceux de France Télécom mais il en existe ailleurs dans des proportions similaires), les problèmes psychologiques de toutes sortes, rencontrés par de nombreux salariés en témoignent.

Un rapport effectué à la demande du Premier ministre : « Bien être et efficacité au travail », présenté par Henri Lachman, Christian Larose et Muriel Penicaud, DRH de Danone, fait le point de cette situation. Ce rapport a été rédigé, non par des experts mais, par des praticiens avec notamment pour ne citer que quelques participants le concours d’Adecco, Capgemini, France Telecom, IBM, Lafarge ou encore Renault. Le lien pour accéder à ce rapport est le suivant : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/Rapport_-Bien-etre_et_efficacite_au_travail-.pdf.

Le rapport est d’une sincérité étonnante en dénonce les causes de la souffrance et du désarroi des collaborateurs au sein de l’entreprise – comme par exemple la fréquence accrue des réorganisations, restructurations ou changement de périmètre de l’entreprise ; le développement de nouvelles formes du taylorisme dans le domaine tertiaire ; la mondialisation, conjuguée avec une centralisation des organisations qui éloigne les salariés des centres de décisions et le management de proximité ; le développement de l’organisation matricielle et du reporting permanent.

Le constat fondamental est pourtant le suivant : le vrai enjeu est le bien-être des salariés et leur valorisation comme principale ressource de l’entreprise. Le rapport se penche donc sur la réalité de la situation vécu par les collaborateurs dans l’entreprise d’aujourd’hui. Il donne aussi des recommandations pour agir.

Que faire ?

Une des principales conclusions du rapport évoqué ci-dessus est la suivante : « Il nous parait indispensable de repenser des modes de management, d’organisation et de vie sociale dans l’entreprise afin de créer un nouvel équilibre, intégrant la performance tant sociale qu’économique ».

Pour ce faire les auteurs de ce rapport préconisent toute une série de propositions parmi lesquelles :

  • Évaluer la performance en intégrant le facteur humain
  • Renforcer le management de proximité
  • Donner aux collaborateurs les moyens de se réaliser dans le travail
  • Restaurer des espaces d’autonomie dans le travail
  • Mesurer les conditions de santé et de sécurité au travail
  • Préparer et former les managers au rôle de manager
  • Valoriser la performance collective
  • Anticiper et Mesurer la faisabilité humaine des réorganisations
  • Accompagner les salariés en difficulté

La technologie ouvre de nouvelles voies qu’il faut explorer. Nous avons aujourd’hui une situation inouïe avec des générations multiples qui convergent dans les lieux de travail. Les nouvelles générations ont des attitudes différentes envers le travail et l’utilisation de la technologie.

On parle aujourd’hui de la refonte du capitalisme. Il faut aussi parler de la refonte du management et des conditions dans lesquelles il opère.

Nous avons ici un chantier énorme – il y a un grand écart entre la perception de ce qu’il faudrait faire vis-à-vis du management et ce qu’on fait actuellement.

François Dupuy dans son livre récent « Lost in management » nous rappelle que toute cette perspective replace au premier plan la question de la confiance, donc celle des règles du jeu, donc celle de l’éthique. La question n’est plus de demander aux acteurs de ne pas « faire n’importe quoi » pour développer le business. Elle est de les aider à construire un environnement de travail moins incertain, plus prévisible, qui permette de se fier un peu plus à l’autre, sans avoir à passer par des construction de procédures ou de processus qui complexifient bien plus qu’ils ne simplifient. Il ne s’agit pas seulement de résultats économiques, mais bien de progrès décisifs dans la capacité à faire travailler les hommes autrement, à croire en eux, en les débarrassant de ce qui complique artificiellement le travail et favorise le cynisme et l’irresponsabilité.

Ce n’est donc pas une fatalité : c’est là qu’est l’espoir.

Propos de Richard Straub édités par Philippe Wattier

 le 14 septembre 2011

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Recommandations du Cercle du leadership

Le débat qui a suivi cet exposé de Richard Straub a permis de formuler quelques recommandations pour contribuer à restaurer le climat de confiance envers le management au sein des entreprises. Il ne s’agit pas à ce stade de prises de positions définitives mais de pistes de réflexions :

    • Favoriser l’émergence d’organisations apprenantes :

on apprend davantage de ses pairs que de ses maîtres. Il est donc indispensable dans les formations managériales de croiser les disciplines, de favoriser les rencontres intra entreprise et inter entreprises pour faire émerger les bonnes pratiques et les retours d’expériences.

    • Se concentrer sur le cœur de métier et responsabiliser les acteurs :

le dirigeant doit mettre le salarié en position d’assurer son activité en le rendant autonome et en l’armant pour qu’il réponde aux défis de sa mission et non en le surprotégeant ou en le contrôlant. pourr cela il lui faut éviter les organisations non responsabilisantes (matricielles), basées sur un reporting permanent ou sur l’exigence de résultats immédiats.

    • Mesurer les performances humaines autant qu’économiques.

en intégrant la dimension managériale dans l’évaluation des cadres ( 360 °) et en valorisant l’entreprise en fonction de la force de son Capital Humain.

    • Adopter le « lâcher prise »

le dirigeant doit mettre le collaboateur en position de prendre des initiatives sur son domaine de compétences ; lui laisser des marges de manœuvre quitte à accepter un certain désordre apparent ; favoriser les espaces d’initiatives et de créativité en misant sur la confiance, l’écoute, le partage.

    • Apprendre par soi-même, sur soi-même : viser l’authenticité

le dirigeant doit « travailler » avant tout son savoir être et non seulement son savoir faire par une recherche sur lui-même ; parvenir ainsi à adopter un comporteement naturel, sincère, authentique, en fonction de ses caractéristiques propres plutôt que de calquer sa posture sur un rôle convenu ou sur « l’air du temps ». Le dirigeant est avant tout singulier et unique.

Il doit également favoriser cet apprentissage chez ses collaborateurs.

    • Favoriser la diversité, éviter le clonage des élites :

en misant sur des profils différents : plus de femmes dirigeantes, plus de profils atypiques, plus de créatifs, et en recherchant systématiquement l ‘apport de cultures diférentes.…

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Quelques liens utiles

Lien vers le Peter Drucker Forum programme November 3 and 4 2011 Vienna

Lien vers le HBR Article « Shared Value »

Lien vers l’article du Docteur Richard “legitimacy” in the ´EFMD Global Focus Magazine

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