Un regard international

sur les managers français

Invités d’honneur :

Pierre Barnabé
Pierre Barnabé

Directeur exécutif d’Alcatel-Lucent
Directeur des Ressources Humaines
et de la transformation

Ronald Blunden
Ronald Blunden

Directeur de la Communication Groupe
d’Hachette Livre (Groupe Lagardère)

Les dirigeants français sont aujourd’hui confrontés à la réalité de l’international, soit parce qu’ils exercent leur activité dans des groupes multi-nationaux, soit parce qu’ils opèrent sur des marchés globaux.

Sont-ils préparés à cet exercice ? Comment l’abordent-ils ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Quels atouts peuvent-ils faire prévaloir ? Quelle image véhiculent-ils auprès de leurs collègues étrangers ? Comment se situent-ils par rapport aux grands modèles dominants (Silicon valley model, Wasp, social european model ou modèle shanghaien…) ?

Nos deux invités d’honneur, rejoints par des participants aux profils et expériences internationales diverses, ont abordé ces questions sous 4 angles : l’environnement culturel spécifique du manager français, la perception du manager français par les étrangers, les opportunités que les grandes tendances macro-économiques ouvrent aux managers français et enfin les pistes de réflexion pour enrichir le modèle de management français sans en perdre les forces.

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1- Un environnement culturel spécifique

Les dirigeants français sont le reflet d’un système culturel très affirmé, combinaison d’un «poids» de l’Histoire important et d’un système éducatif aux différences marquées face aux modèles des pays anglo-saxons ou d’autres pays européens (Bruno Chaintron citant notamment l’exemple hollandais).

L’élément essentiel de l’Histoire est l’héritage des Lumières et de leur idéal d’Egalité. Confronté à un environnement mondial de plus en plus concurrentiel, cet héritage peut impliquer dans les situations de crise un dilemme « moral » ou cas de conscience pour les dirigeants français. Retard dans la prise de décisions difficiles ou au contraire réaction excessive, amplifiée ? Les impacts sur les mécanismes de décision divergent. Mais, dans une majorité des cas, les décisions sont prises de manière plus personnelle que pour un dirigeant anglo-saxon dont l’environnement culturel distingue plus fortement les sphères professionnelle et personnelle, ce qu’illustre l’expression « No hard feeling, nothing personal », rappelée par Alexandrine Mounier.

Le système éducatif français se singularise également : sélectif, orienté vers un savoir d’abord conceptuel et académique, et emprunt de prestige social pour les meilleures filières. Ce savoir valorise l’esprit critique et cartésien. Et les diplômes correspondent à un véritable statut social ; n’est-il pas surprenant de voir les annonces de nominations de dirigeants commencer par le diplôme, même pour des managers ayant 30 ans de carrière derrière eux ? Le statut social du diplôme a pour corollaire l’importance du « réseau » et des relations de confiance.

2- Perception par nos collègues étrangers

Les managers français ont généralement une bonne image à l’étranger. Esprits cartésiens et stratèges, ils apportent à leurs équipes une capacité de réflexion et d’analyse généralement appréciée, même si parfois un peu « philosophique » (pour reprendre l’expression de Chris Roberts).

Les dirigeants français ne redoutent généralement pas la confrontation d’idées ; au contraire, ils auraient plutôt tendance à la rechercher ! Mais le cartésianisme, le sens critique et la formation académique des dirigeants français les amènent souvent à être perçus comme ayant une intelligence conceptuelle, analytique au détriment d’un sens pratique et tactique, et à privilégier la justesse de l’analyse sur la spontanéité des échanges.

Un corollaire de cette forme de réflexion est l’importance particulière accordée par le dirigeant français à la définition d’une stratégie très aboutie, quitte à ce que celle-ci fasse l’objet de nombreuses adaptations au cours du temps. Les dirigeants américains attachent généralement une importance plus forte à la tactique, qui se décline en une gestion par processus, la préparation de plans d’actions détaillés et une gestion du temps beaucoup plus stricte, comme le souligne François Eyssette.

Attention à ce que l’esprit critique français ne bascule pas en critique systématique ! Véronique Gauthier partage son expérience d’étudiants étrangers associant la France à un trop grand pessimisme.

3 – Des opportunités pour les managers français dans un monde en constante évolution

La question a été débattue par l’assistance du degré de fongibilité d’un manager français dans des organismes internationaux. « Une structure internationale devient-elle forcément apatride ? » nous interpelle Serge Huard. « Développe-t-elle une culture spécifique, issue de l’hybridation des cultures individuelles ? » nous suggère Pierre Barnabé.

Les deux intervenants ont souligné l’opportunité que représente pour les managers français l’évolution du monde vers un équilibre multi-polaire. Jean Noël Fourel indique que, même s’ils ne sont pas évidents, les points de rapprochement entre cultures française et chinoise, notamment, sont réels (gestion de réseaux, importance de sauver la face, rôle de la hiérarchie, …). Alors que la proximité avec des managers anglo-saxons, elle, est parfois factice, comme le rappelle Thomas Morel.

Et Ronald Blunden souligne que la France est un des pays gérant le mieux aujourd’hui l’un des défis clés dans la gestion des talents, à savoir l’équilibre hommes/femmes, sans verser dans le « politically correct » nord-américain.

4 – Enrichir le modèle de management français sans en perdre les forces

La comparaison avec d’autres pays soulève un certain nombre de questions sur l’évolution possible du modèle de management français :

  • Pierre Barnabé nous encourage à renforcer notre Quotient Emotionnel, pour l’amener au même niveau que notre Quotient Intellectuel.
  • La nomination de dirigeants d’entreprises en France fait la part belle à des candidats « externes ». Comme suggéré par Jakob Haesler, ne faudrait-il pas s’inspirer du modèle allemand de promotion interne, qui positionne le PDG plus comme un « primus inter pares » que comme un leader visionnaire détaché de ses équipes ?
  • Emmanuelle Barbara souligne la nécessité de réduire l’influence du monde politique sur la marche des entreprises, influence qui trop souvent isole les managers et renforce la langue de bois.
  • Comment les entreprises françaises et leurs dirigeants peuvent-ils mieux pénétrer les cercles d’influences internationaux et être plus présents dans les grands courants d’idées mondiaux ?
  • Comment les entreprises françaises peuvent-elles améliorer leur image auprès d’étudiants étrangers qui, comme le souligne Charles-Henri Besseyre, les perçoivent comme pas assez transparentes et méritocratiques ?

Mais, dans le même temps, il est important que les managers français conservent leur spécificité. Ronald Blunden nous encourage à rester nous-mêmes. Car, comme nous le rappelle Philippe Wattier en paraphrasant Perry Anderson, « Quand les français parlent de leur exception culturelle, ils nous agaçent … Mais quand ils parlent comme nous, les anglo-saxons, ils nous emmerdent ! »

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Débat préparé et organisé avec le concours de Didier Vuchot (Korn Ferry) et Pascal Baumgarten (McKinsey).

Partenaires:

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