Le sport a toujours était une formidable source d’inspiration pour les dirigeants que nous sommes, soit parce que nous l’avons pratiqué, que nous l’aimons et que nous y avons exprimé des qualités que nous aimerions reproduire dans notre contexte professionnel, soit parce que nous avons l’intuition que tous les champions doivent bien avoir « ce petit plus » qui nous manque pour parvenir à de telles performances.

Dans le cadre champêtre et inspirant de la Faisanderie au Stade Français -un des clubs omnisport les plus anciens et les plus mythiques de France-, nous avons reçu ces champions, ces entraîneurs et ces managers sportifs, qui ont été des acteurs de haut niveau.

Avec eux, nous nous sommes demandés notamment quels étaient les leviers de motivations utilisés par les grands entraîneurs et les grands sportifs pour atteindre l´excellence ? Comment se gérait l’écosystème du sportif de haut niveau ? Comment était-il préparé, entraîné, parfois protégé ? Comment canalisait t-il et optimisait-il son énergie ? Enfin nous nous sommes demandés comment fonctionnait la relation entre l’entraîneur et le sportif ? Comment se gérait les égos dans la nécessité du Collectif ? Quel équilibre s´instaurait entre l´autorité et le lâcher-prise, entre le respect des consignes et l´initiative ?

En fil rouge, nous avons essayé de discerner sur chacun de ces points ce qui était ou non transposable au monde de l´entreprise et au management de nos équipes.

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Nos invités

 

Muriel Hurtis

Muriel Hurtis découvre l’athlétisme en Seine-Saint-Denis et devient championne de France minime sur 150 m. Elle intègre ensuite le Racing club de France. En 1998, elle devient championne du monde du 200 m et vice-championne du monde avec le relais 4 × 100 m lors des Championnats du Monde Juniors d’Annecy. En 1999, elle s’adjuge le record de France du 200 m en salle (22″84) Au mois d’août 1999 à Séville aux Championnats du Monde elle réalise 22″31 au 200 mètres et participe au relais 4 × 100 mètres qui obtient la médaille d’argent. En 2001, elle obtient une nouvelle médaille d’argent avec le relais lors des mondiaux d’Edmonton. Elle sera enfin championne du monde avec le Relais 4×100 mètres en 2003 à Paris et médaillée Olympique avec ce même relais aux JO d’Athènes en 2004. Au total Muriel Hurtis aura gagné 10 médailles aux championnats du Monde, Championnat d’Europe et jeux Olympiques dont 5 en Or.
A la fin de sa carrière Muriel Hurtis compte se consacrer aux métiers de la santé et du bien être en Entreprise.

 

Jean-René Bernaudeau

Jean-René Bernaudeau entre au début de sa carrière de coureur dans l’équipe cycliste Renault, dirigée par Cyrille Guimard. Il se révèle rapidement comme un espoir très prometteur, gagnant en 1978 le trophée Promotion Pernod du meilleur coureur français de moins de 25 ans, et en étant le meilleur coéquipier de Bernard Hinault, son ainé de 2 ans, lors des victoires decelui-ci sur le Tour d’Espagne 1978 – qu’il termine pour sa part 3e à l’âge de 21 ans -, le Tour de France 1979 – où il est 5e et maillot blanc -, et le Tour d’Italie 1980. Il devient n 1981 le leader de l’équipe Peugeot. Coureur à panache, son profil de rouleur, de bon grimpeur, mais aussi descendeur exceptionnel, lui permettent d’engranger de nombreux succès. Il remporte ainsi le Grand Prix du Midi libre en 1980, 1981, 1982 et 1983. Apres avoir été manager de l’équipe Bouygues, Jean-René Bernaudeau est aujourd’hui dirigeant du team Europcar, où excellent deux des meilleurs coureurs français Thomas Voeckler et Pierre Rolland.

 

Daniel Costantini

Daniel Costantini a été joueur du Stade Marseillais Université Club (SMUC) de 1949 à 1973. Il a aussi été international à 10 reprises. En 1973, il devient entraîneur du SMUC jusqu’en 1985. Il est à double champion de France, en 1975 et en 1984. En 1985, lorsqu’il prend en charge l’équipe de France de handball masculin, celle-ci est classée 19ème mondiale. En changeant radicalement les habitudes prises, il conduira d’abord l’équipe de France à la médaille de bronze aux Jeux olympiques d’été de 1992, puis à la consécration mondiale aux Championnat du monde de handball masculin 1995 en Islande avec une équipe de fortes personnalités, surnommés « les Barjots » tels que Frédéric Volle, Philippe Gardent, Denis Lathoud, Stéphane Stoecklin et un génie Jackson Richardson. Il reconduit, pour sa dernière compétition, l’équipe de France à la médaille d’or lors des Championnats du monde 2001 en France avec des joueurs tels que Jackson Richardson, son capitaine, ou Grégory Anquetil.

Modérateur des débats

 

Thierry Lardinoit

Thierry Lardinoit est professeur de marketing à l’Essec. Depuis, 2001 il dirige la chaire internationale de marketing sportif dont il est le fondateur.

Docteur de l’Université Catholique de Louvin (Belgique), ses recherches ont été publiées dans différentes revues Internationales. Il a également contribué à de nombreux ouvrages en matière de marketing sportif.

Affilié à l’UEFA, il enseigne le marketing au sein de « l’UEFA Diploma of Football Management » pour le compte des cinquante quatre Fédérations concernées.

Ancien International Belge de Volley-ball, (25 sélections), sportif accompli, spécialiste du marketing, Thierry a « reconverti » bon nombre de sportifs de haut niveau.

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Diriger ou entrainer ? Quelles différences

Ce débat entre « sportifs » faisait suite à une conférence sur « les nouveaux paradigmes de la motivation » qui s’est tenue en mai dernier et au cours de laquelle notre invité d’honneur, Neel Doshi, partner  au bureau de New York  de McKinsey nous avait révélé le fruit de quinze années de ses recherches. Selon  lui, seule la capacité à mobiliser les motivations intrinsèques des individus permet d’atteindre l’excellence.

Sans entrer ici dans le détail de cette intervention (voir le compte rendu de la conférence du 13 mai 2014), il avait  fait ressortir ce qui lui semblait essentiel : la capacité à aimer ce que l’on fait (play) ; l’envie de donner un sens à son travail (purpose) ; les perspectives de nos développement offertes par son travail (potential).

La passion, carburant du sportif !

Thierry Lardinoit, modérateur des débats a d’emblée essayé de confronter  cette vision avec celle de nos invités Sportifs. Le monde du sport se nourrit-il des mêmes ingrédients ?

La réponse est non seulement positive, mais étonnamment identique : l’excellence requise par le haut niveau se nourrit de passion !

L’entraîneur doit l’insuffler, le champion doit l’intégrer. Selon les disciplines cela recouvre néanmoins des réalités différentes.

Thierry Lardinoit

Pour Daniel Costantini  joueurs. Il doit au contraire la canaliser e: »dans le sport collectif, la passion, ou le plaisir, sont inhérents au jeu lui-même ; l’entraîneur n’a généralement pas besoin de la communiquer à ses sportifs, il doit au contraire y apporter le corolaire de rigueur indispensable à la réussite». Dans les sports plus athlétiques ou individuels, comme l’athlétisme ou le cyclisme, la passion se trouve dans le sens ou dans la perspective du succès davantage que dans l’acte sportif lui-même. Muriel Hurtis  avance que son « quotidien de sportive est souvent ingrat : musculation, endurance ne sont pas spécialement sources de plaisir ».  « C’est alors à l’entraîneur d’insuffler la passion et le rêve » nous dit Jean-René Bernaudeau « pour que les efforts accomplis aient un sens ».

Nous retrouvons donc bien nos trois arguments : plaisir, sens,  développement… comme moteurs de motivation, dosés différemment selon les disciplines.

Le mental, le mental, le mental… 

Interrogés sur les facteurs qui conduisent au succès, nos « entraineurs » avancent différentes hypothèses dont les dirigeants  que nous sommes peuvent  utilement s’inspirer.

Jean-René Bernaudeau

Pour Jean-René Bernaudeau : «l’excellence se joue dans les détails et dans les détails, c’est le mental qui fait la différence. Viennent ensuite, les qualités physiques, puis le talent, mais ensuite seulement ». Poussés par l’assistance à exprimer ce que contient ce mot étrange « le mental »  finalement peu utilisé en management au sein des entreprises, nos invités arrivent à en cerner les contours avec une belle précision. Ce serait en fait la combinaison de la confiance en soi et du courage.

  • la confiance en soi est indispensable pour vaincre tous les obstacles (la peur de soi, des adversaires),
  • le courage est indispensable pour surmonter les difficultés (la souffrance,  la répétition des efforts,  la capacité à rebondir sur l’échec).

… et l’identité.

Pour Daniel Costantini «c’est l’identité qui forge un groupe » et qui lui permet d’accomplir de grandes performances». Ce n’est pas un hasard si les handballeurs se sont affublés d’un nom de groupe,  « les barjots » à l’époque,   «les experts » aujourd’hui ; Cette identité c’est un vécu commun, c’est l’expérience que l’on se transmet, c’est une culture partagée, c’est l’envie de vivre ensemble.

Daniel Costantini et Muriel Hurtis

C’est une  marque. «Cette identité, on sait qu’on l’a atteinte quand on la lit dans le regard inquiet de nos adversaires» nous confie celui qui a fait passer l’équipe de France du rang de 19eme mondial au rang de… Champion du Monde.

Mais attention… fragile !

On pourrait croire que le sportif est une sorte de héros inébranlable de fer et d’acier. Il n’en est rien.

Le haut niveau est aussi un monde extrêmement précaire et fragile. L’échec, la désillusion, la chute, la blessure, le rejet…  guettent en permanence. Le  sportif de haut niveau peut se révéler d’une étonnante fragilité. Le rôle de l’entraineur consiste alors à préserver en permanence son intégrité physique et psychologique. Ce que Thierry Lardinoit appelle « l’écosystème du sportif ». Il s’agit sans doute là d’un des enseignements les plus  difficiles à intégrer pour les dirigeants d’entreprise qui n’ont pris conscience de la nécessité de cet équilibre durable que de manière récente. Le sport peut nous enseigner que c’est au contraire en protégeant cette double intégrité, physique et psychologique,  que le champion donne sa pleine mesure.

Muriel Hurtis

Muriel Hurtis n’hésite pas à évoquer : «le droit pour le sportif de pouvoir choisir son entraîneur en fonction de sa capacité à être à l’écoute de tous les signes, même faibles que lui donne son sportif».  Quand on passe 90 % de son temps à se préparer ou à récupérer, cet enjeu devient essentiel. Ce thème ne manquera pas d’intéresser les dirigeants qui font aujourd’hui face à des salariés de la génération Y qui n’hésitent pas à choisir l’entreprise en fonction de sa capacité à leur permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes sans nuire à leur développement futur. C’est la notion de « management durable » qui se fait jour dans les entreprises les plus avancées.

Jean-René Bernaudeau abonde dans ce sens : «le coach est le premier responsable de bien être psychologique de son sportif ; aucune performance n’est obtenue en le poussant dans une zone d’inconfort» et de fustiger le dopage qui a ravagé son sport pendant des années.

Daniel Costantini évoque quant à lui l’harmonie du groupe. «Les égos parfois démesurés sont indispensables mais ne doivent pas nuire au rendement collectif».  Les choix d’Aimé Jacquet en son temps, de Didier Deschamps aujourd’hui sont là pour témoigner que cet équilibre d’ensemble peut parfois amener l’entraîneur à se priver de ses éléments les plus brillants s’ils s’avèrent qu’ils n’y concourent pas.

C’est au coach d’adapter son style à son environnement et à son équipe.

Daniel Costantini, Muriel Hurtis et Jean-René Bernaudeau

Il était important pour terminer, de questionner nos invités sur ce qui leur paraît constituer la  qualité principale d’un coach.

Daniel Costantini parle de la nécessité de s’adapter à son groupe. Naturellement prédisposé à un management directif, c’est sur ce mode relationnel qu’il a construit sa première équipe championne du Monde en 1995.  Puis il s’est rendu compte que son groupe murissait et que le succès le fuyait (échec aux JO d’Atlanta notamment) ; il est donc revenu vers ses joueurs  en leur disant : «vous avez dorénavant un nouvel entraîneur, car vous avez vous-même tué le précédent». Et c’est sur un mode participatif qu’il a conduit à  nouveau son groupe vers un deuxième titre de champion du Monde en 2001.

Muriel Hurtis  dit exactement la même chose de son point  de vue de sportive.  «Peu expérimentée, j’avais besoin d’un coach directif, voire autoritaire pendant la première phase de ma carrière, mais plus consciente de mon bien-être, plus soucieuse de me préserver et de progresser, j’ai ensuite ressenti la nécessite d’un coach capable de me donner de l’autonomie».

C’est au coach de gratifier tous les acteurs de l’équipe

Jean René Bernaudeau se place sur un autre registre. Il met quant à lui en exergue, une qualité essentielle à ses yeux, celle de reconnaitre l’apport de tous les membres de l’équipe  au succès final.  «Dans une équipe cycliste, il y a le champion, lui est naturellement gratifié par la victoire. Mais il y a aussi les « porteurs d’eau », les mécaniciens, tous ceux qui font un travail obscur. Ceux-là doivent pouvoir trouver la juste récompense de leurs efforts dans le regard et l’attention que leur porte leur manager».

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Une belle leçon de vie, de partage, d’émotions et des témoignages qui inspireront certainement notre action de dirigeants.

 Merci à nos trois invités, parfaitement mis en scène par le questionnement rigoureux et précis de Thierry Lardinoit, notre modérateur des débats.

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Juillet 2014, propos recueillis par Philippe Wattier avec l’aide de Catherine Thomas-Etienne,  Latoya Clarke Nivore, Pierre Manent, Bruno Chaintron.

Photos ©Cercle du leadership

 

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