Shared Value : les nouveaux influenceurs

 

La soirée s’est déroulée au SenseSpace, un espace de coworking et d’incubation de startups sociales et digitales, créé par l’association MakeSense.

Alizée Lozac’hmeur, co-fondatrice de MakeSense, a accueilli les invités au sein du SenseSpace, et a présenté MakeSense. L’association s’est lancée en 2010, avec pour objectif, après un tour du monde des entrepreneurs inspirants, de connecter des communautés de volontaires avec des entrepreneurs sociaux qui montent des entreprises viables pour répondre à des problématiques sociales ou environnementales. Les entrepreneurs sociaux soumettent leurs défis très opérationnels sur une plateforme web, ou, mieux encore, lors d’ateliers physiques où se réunissent une quinzaine de volontaires. Grâce au pouvoir des réseaux sociaux, 20 000 personnes ont aidé aujourd’hui plus de 1000 entrepreneurs sociaux. Pour les entreprises, MakeSense a créé un programme de mobilisation spécifique pour que les collaborateurs puissent donner de leur temps afin d’aider des entrepreneurs sociaux de leur secteur au cours d’ateliers.

Laurent Choain, partenaire du cercle et Chief People & Communication Officer de Mazars a ensuite présenté le déroulement de la soirée et introduit les débats par une vidéo de Jean-Pierre Villaret, fondateur de June 21st. Dans cette vidéo, Jean-Pierre Villaret interpelle les membres du Cercle et explique son absence par le fait qu’il n’apprécie pas les réseaux, qui selon lui bloquent la France et créent beaucoup d’inertie. Selon lui il faut différencier les réseaux auxquels on appartient de manière permanente souvent fermés et élitistes, comme le Cercle, des réseaux auxquels on appartient de manière épisodique. A ses yeux, ce sont ces derniers qui ont le vent en poupe. A titre d’exemple, au sein d’une entreprise, les employés sont désormais émetteurs : ils peuvent être bloggeurs, et constituent de nouvelles formes de réseaux avec des influences différentes. Les entreprises, et non plus seulement leurs dirigeants, sont ainsi devenues des médias, avec une audience quotidienne, une ligne éditoriale qu’elles doivent définir, des valeurs, des principes, et ont désormais l’obligation d’agir en toute transparence.

Jean-Pierre Villaret insiste ensuite sur le fait que les nouveaux influenceurs se distinguent avant tout par la recherche de viralité qui passe par des contenus, plus courts, plus imagés et localisés. D’ailleurs, selon lui, les journalistes se considèrent eux-mêmes comme des produits viraux, et cherchent à pousser leur nom plutôt que celui de leur journal et ce, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui tellement de production de contenus, que mécaniquement la valeur de chacun de ces contenus diminue – il faut donc créé une ligne éditoriale personnelle pour que chacune de ces petites touches créée une image.

Enfin, Jean-Pierre Villaret fait mention de la « Creative Class » et de la « Génération Y » qui bousculent le rapport aux réseaux et génèrent de nouvelles formes d’influence.

La séance s’est ensuite poursuive par la constitution de deux groupes de travail, chacun animé tour à tour par Patrice de Fournas, associé chez Jouves & Associés, et Laetitia Puyfaucher, CEO de Pelhalm Media.

Le premier groupe de travail a commencé à réfléchir à la notion de réseaux, abordée par Jean-Pierre Villaret dans la vidéo. Le débat est vif, certains critiquant fortement le poids des réseaux dans le système français qui créent de forts blocages dans la société française tandis que d’autres participants soulignent que si les réseaux sont composés de personnes bienveillantes, à l’instar du Cercle, alors ils peuvent être positifs. D’ailleurs, explique un participant, si les « réseaux » dits traditionnels semblent ne plus être plus pertinents, c’est parce que d’autres se sont recréés : « nous assistons aujourd’hui aux conférences de Mark Zuckerberg et Elon Musk comme nous assistions auparavant au coucher du roi ».

Le débat s’est poursuivi en insistant sur la distinction établie par Jean-Pierre Villaret entre les réseaux auxquels on appartient de manière permanente et ceux auxquels on appartient de manière épisodique. Un participant ajoute une autre distinction possible : celle entre les réseaux auxquels on appartient de par son identité ou sa position, et ceux auxquels on appartient indépendamment de qui l’on est, mais parce que l’on partage un projet commun, comme MakeSense. Il existe des réseaux parce que l’on vient du même endroit et des réseaux parce que l’on va au même endroit. En France, il y aurait trop de réseaux du premier type, et pas assez du second. Un des participants précise qu’avec Internet, qui a pour essence la génération de réseaux de manière spontanée, on assiste à la création perpétuelle de réseaux, sur un nombre de sujets divers et variés. Peut-être faudrait-il effectuer une nouvelle distinction basée sur la temporalité : il y a des réseaux auxquels on appartient sur le temps long, et d’autres qui se créent en réaction à un événement et qui ont une durée de vie plus courte. Il est tout à fait possible d’appartenir à plusieurs réseaux simultanément, et ceux-ci deviennent alors poreux.

Les participants ont aussi débattu sur la question de la maîtrise des réseaux, en soulignant que les réseaux les plus forts sont probablement ceux que l’on ne maîtrise pas. Les réseaux influenceurs les plus importants sont capables en quelques heures de faire monter ou de détruire une marque, sans que personne ne les maîtrisent. Un exemple de réseau puissant non maîtrisé a été la mobilisation « Je suis Charlie » à la suite des évènements du mois de Janvier. Enfin, une distinction entre réseaux et communautés est mentionnée : les réseaux reposent sur la coopération, alors que les communautés s’appuient sur la collaboration entre ses membres. Le sentiment d’appartenance est important au sein des communautés. Les réseaux peuvent devenir des communautés, influentes, à partir du moment où les individus s’y sentent intégrés, y apprennent, et vont ensemble dans la même direction.

Le débat se prolonge sur la question de l’influence des nouvelles technologies et de leurs créateurs. Patrice de Fournas avance l’idée que pour les dix prochaines années, les influenceurs seront ceux qui créent la technologie, car en créant le contenant, ils orienteront le contenu. L’enjeu des réseaux qui peuvent se créer est alors de rattraper la technologie en lui donnant du sens : il faut repenser la technologie et la rendre féconde sur des choses positives pour l’humanité. Les participants répondent en soulignant que le paradigme est en tout cas clairement technologique. En effet si les réseaux ont toujours existé, ce sont les technologies qui les ont rendus visibles. Elles ont également permis de globaliser certains réseaux, et d’en démultiplier le nombre. Un participant souligne cependant que les nouvelles technologies, certes fascinantes, aliènent notre capacité à creuser, car toutes les informations sont obsolètes aussitôt parues. Un autre participant évoque le fait que grâce aux réseaux et aux nouvelles technologies, les entreprises peuvent capter de l’information, et créer des produits adaptés aux demandes formulées, par exemple, sur les forums.

Puis les participants abordent le thème des nouveaux influenceurs sous l’angle de la presse. Le passage au numérique a précipité les journalistes dans un monde où il faut produire un nombre démesuré d’informations pour survivre. Ces informations n’ont donc plus la même valeur que celles qui étaient écrites sur papier. Un intervenant souligne alors que la nouvelle problématique de la presse est d’arriver à offrir du contenu de qualité, de la pensée, sur des supports numériques. Ainsi, du point de vue des influencés, qui sont en permanence soumis à une importante quantité d’informations, comment comprendre ce qui importe vraiment ? Un intervenant répond, plutôt optimiste, que la clairvoyance de chacun est désormais établie et que l’apprentissage du digital est fait : les individus comprennent que le papier sert à la pensée, et le digital à l’information continue.

Enfin, la question des influencés qui deviennent eux-mêmes influenceurs émerge. Tout le monde peut désormais être à la fois influenceur et influencé. Ainsi, la notion d’appartenance à un réseau peut être remplacée par celle de participation à un réseau : à tout moment, on peut décider d’influencer ou d’être influencé, ce qui est, in fine, positif pour la démocratie. Il devient alors nécessaire de trouver des cartes, des clés de lecture, pour comprendre les messages clés qui se dégagent de toutes les informations. Le sujet désormais crucial est donc d’aller tirer les informations pertinentes du flot d’informations continues. Les entreprises doivent faire face à des clients influenceurs. Ce n’est pas pour autant, souligne un des participants, que le chef d’entreprise ne doit pas avoir de vision et écouter exclusivement les désirs de ses clients – au contraire, c’est avec une vision que les clients vont se mettre à adhérer.

En conclusion, les participants répondent à la question « Qui sont les nouveaux influenceurs ? » en mentionnant l’entourage proche, les clients finaux, ou les algorithmes qui dictent notre manière de consommer. Il reste cependant difficile de quantifier la puissance d’un influenceur.

Au sein du second groupe, La discussion commence d’emblée par la question « Qui sont les nouveaux influenceurs ? ». Les participants proposent plusieurs réponses : les réseaux sociaux, et en particuliers les personnes qui ont beaucoup de « followers ». Ces nouveaux influenceurs « virtuels » sont-ils aussi influents dans la vie réelle s’interroge le groupe. Probablement pas car ces nouveaux influenceurs ne le sont pas par leur personnalité ou leur savoir mais par leur capacité à partager du contenu et de la connaissance. A contraria, un participant souligne que, selon lui, les vrais influenceurs sont ceux à l’origine d’une création, et leur influence provient de leur légitimité : les acteurs des réseaux sociaux ne sont en réalité que des accompagnateurs. De la même façon, selon le groupe, la très grande majorité des politiques ne sont plus des influenceurs, ils ne font que reprendre des grands thèmes de société, mais n’inventent plus de nouveaux modèles.

Laetitia Puyfaucher recentre alors le débat sur l’étymologie du terme « influence » : il s’agit de la capacité d’influer sur le cours des choses tout en restant à distance. Les twitts font peut être du bruit, mais ils ne sont pas à l’origine de changements sociétaux ou comportementaux. La nature humaine fait que les changements d’attitude sont longs. Il faudrait donc avoir une réflexion sur le bruit par rapport à l’influence. Galvaude-t-on le mot « influence » en parlant d’influenceurs sur les réseaux sociaux ? Un participant tranche la question en définissant les réseaux sociaux comme des caisses de résonnance pour les débuts de changement, les « allumettes », qui, si elles sont reprises dans les cercles et autres réseaux, permettent de mettre en place les autres mécanismes d’influence, plus longs et importants. Les réseaux sociaux ne sont alors pas des influenceurs mais des « starters », des allumeurs de signaux faibles.

Un participant oriente alors le débat sur deux questions. Premièrement, est-il possible de différencier la notion d’influence de la technologie ou du média qui porte cette influence ? La technologie change les influenceurs. Lorsque le média principal était le papier, les influenceurs étaient les intellectuels ; lorsque l’on est dans une logique d’une technologie qui domine dans la médiation, une technologie des 140 signes, alors les influenceurs deviennent ceux qui maîtrisent ces 140 signes. Deuxièmement, si l’on définit un influenceur comme quelqu’un qui apporte des réponses simples à des situations complexes, l’enjeu face à ces nouveaux « web-influenceurs » n’est-il pas de déterminer s’ils apportent des réponses véritablement simples ou seulement simplistes aux grands débats du monde contemporain ? Un participant réagit en expliquant que les contenus ont de tout temps été courts, simples, et imagés. L’influence serait donc la capacité à exprimer, indépendamment du contenu, des idées synthétiques. Sont ensuite abordées les notions d’échelle et de temporalité. Un participant souligne qu’il n’y a pas d’influenceurs dans l’absolu, mais des influenceurs au sein de communautés. Par ailleurs, certains influenceurs, comme Steve Jobs, créent des bouleversements qui perdurent des années – a contrario, les Youtubeurs n’ont qu’une influence de très courte durée.

Selon un participant, ceux que l’on présente comme les nouveaux influenceurs sont très souvent des personnes ayant réussi dans le Web et ayant gagné beaucoup d’argent. Le groupe s’accorde à dire que ces nouveaux influenceurs peuvent également être liés à des phénomènes de mode, à la capacité de « stars » d’émouvoir, de rassembler.

Le groupe de travail revient sur la place clé de la technologie dans l’émergence de nouveaux influenceurs. Un participant souligne que les plus grands influenceurs sont probablement les personnes qui sont à l’origine de l’algorithme de Google, voire peut-être même l’algorithme lui même sur lequel les hommes n’ont plus de contrôle. Par ailleurs, un autre participant évoque le fait que les grands innovateurs en matière de technologie (Mark Zuckerberg, Elon Musk, les Google Guys) sont en train d’inventer une nouvelle vision du monde commune, ayant pour piliers centraux l’immortalité et l’éradication du mal de l’humanité. Maîtriser la technologie permet d’avoir, à idée comparable, une influence plus forte sur l’évolution de la société. Les nouveaux influenceurs ne sont donc plus les politiques mais les grands dirigeants de la web économie. En effet, un participant mentionne la difficulté de contrebalancer l’idée que la technologie va résoudre tous les problèmes de l’humanité. D’autant plus que ces nouveaux influenceurs qui viennent du monde de la technologie ont des capacités d’investissement qui permettent de faire rêver les populations. Or leur influence est d’autant plus forte que leur vision rejoint les aspirations individuelles de beaucoup, ce sont des créateurs et des vendeurs d’un monde meilleur.

Christian Vanizette, co-fondateur de MakeSense conclue la séance de la soirée. Afin de mobiliser les 20 000 bénévoles de MakeSense répartis aux quatre coins du globe, Christian croit fermement en trois principes.

Tout d’abord, un cap est clairement défini : le but de la communauté est de résoudre des défis sociaux et environnementaux. Il n’est pas possible de nommer un chef qui va diriger des équipes, les volontaires étant dans quasiment tous les pays du monde et se mobilisant sur les réseaux sociaux. Les bénévoles agissent donc en « mode projet » : ils choisissent la brique qu’ils souhaitent apporter. Il n’y a pas de trajectoire précise définie, mais un seul un cap. Ils ne savent pas s’ils vont y arriver, mais ils pensent que cela vaut la peine d’essayer.

Deuxièmement, Christian Vanizette souligne la confiance qu’il a dans les effets de communautés. Il confie que même en ayant débuté le projet, il n’en est plus aujourd’hui la personne la plus influente. Il mentionne le concept de « micro-célébrités » : nous sommes tous vraiment influents auprès de quelques dizaines de personnes. Christian ne cherche cependant pas à influencer le plus grand nombre, mais à cultiver des liens faibles, car c’est de là que proviennent les innovations selon lui.

Enfin, Christian invite les participants à se pencher sur les travaux de recherche d’Elinor Ostrom sur l’ « Economy of the Commons » : la philosophie du marché pour gérer les ressources, selon l’offre et la demande, n’est peut-être pas optimale, alors qu’une communauté qui consomme une ressource de manière collaborative est capable de la penser à plus long terme et donc de mieux la gérer. La technologie peut vraiment avoir un impact social et environnemental positif, et il appartient aux nouvelles générations de l’utiliser et la designer en ce sens.

 

Propos recueillis par Clément Berardi, Julien Eymeri et Juliette Somma

http://www.choisirquartierlibre.com/

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