Tous nous le disent !

 

Les  observateurs étrangers qui nous regardent et apprécient pourtant notre pays,  son histoire, son mode de vie, sa culture, son savoir-faire industriel,  son génie créatif, nous le répètent à l’envi : pourquoi nos entreprises sont-elles figées et ont-elles tant de difficultés à être agiles, à se remettre en cause, à être flexibles, bref à être résilientes ?

Je me faisais également cette réflexion lors d’une intéressante conférence à laquelle j’assistais il y a quelques jours à peine à l’invitation du toujours très respectable Institut Montaigne. Le titre du colloque était évocateur : «  comment rénover notre socle social ? ». Les intervenants présentaient brillamment leurs thèses en soulignant la nécessite d’alléger le poids du code du travail ; de remettre en jeu un véritable dialogue social avec des syndicats qui représenteraient mieux les salariés et qui seraient davantage conscients des enjeux économiques ; de limiter le rôle trop interventionniste de l’Etat ou encore d’alléger le coût du travail.  Un discours plutôt ouvert, moderne, teinté d’un libéralisme social et porté par une qualité de réflexion incontestable qui est la marque de ce type de Cercles. On n’est pas obligé de partager ce discours, mais là n’est pas mon point. Mon point est ailleurs : je  me suis souvenu que j’avais assisté exactement à la même conférence il y a … trente ans vers le début des années 80 ! Même constat, même chant plaintif, même découragement,  mêmes  esquisses de solutions…

Dans l’intervalle -et pour ne citer que quelques exemples parfaitement  anodins-  l’URSS a disparu : l’Allemagne s’est réunifiée ; la Chine est devenue la deuxième puissance mondiale ; Internet a révolutionné toutes nos pratiques… mais voilà, en France on continue de s’interroger sur la rénovation de notre socle social. Connait-on -dans quelque discipline que ce soit-  problème posé depuis si longtemps qui n’ait trouvé sa juste solution ?  Assurément non !

Pourtant, sur ce thème, rien n’a changé.  Enfin, rien n’a changé, je suis injuste : le code du travail a pris un kilo de plus, paraît il !

Alors à qui la faute ? A  tout le monde bien sûr : aux syndicats  qui refusent de bouger les lignes ; A l’Etat qui ne pense qu’a réglementer dans la tradition française bien jacobine ; aux entreprises qui n’ont pas su prouver  leur sincérité et par suite prouver leur légitimité pour transformer la société française.

Alors balayons devant notre porte et parlons de ce que les dirigeants d’entreprise  pourraient faire pour atteindre cette résilience tant convoitée, puisque dans cette tribune, ce sont bien à eux que l’on s’adresse. Et espérons que dans d’autres Cercles -syndicaux ou publics-  d’autres feront le même travail.

Plusieurs voies sont possibles. Elles  ont nourri bon nombre de nos réflexions ici au Cercle depuis que nous menons nos travaux, certaines ont été avancées par d’éminents chefs d’entreprise et ont été mises en œuvre. Elles méritent en tous cas d’être citées ici quitte à ce que nous y revenions plus en détail dans d’autres tribunes.

Au premier chef, pour que les organisations soient plus résilientes il faudrait que les dirigeants eux-mêmes le soient davantage.

Or la plupart des instruments  de rémunération qui leur sont propres ne  les y incitent pas : retraite chapeau, stocks options, indemnités liées à l’ancienneté, sont autant d’avantages pécuniaires dits a « effet différés » qui n’incitent pas les dirigeants à prendre des risques, mais qui les amènent davantage à s’accrocher à leur position et à leur statut parfois au delà du raisonnable. Ces avantages devraient être arbitrés au  profit d’avantage à « effet immédiat » qui sanctionnerait un résultat probant.

Dans  la même veine les dirigeants devraient ouvrir leur rang à des compétences nouvelles.

Il n’y a plus de femmes qui dirigent une entreprise du CAC 40 et elles sont toujours moins de 10 % dans les comités de Direction.   En dépit des beaux discours, la mixité est en panne sèche dès que l’on atteint les échelons de Direction. De la même manière la diversité reste une vue de l’esprit. On ne parle pas ici de la seule diversité ethnique, mais de toutes formes de diversité, celles d’une ouverture à d’autres disciplines, aux étrangers, à d’autres formes de diplômes, à l’apprentissage, qui fait le succès de l’industrie allemande… Ce n’est pas l’actuel clonage des élites qui est le meilleur garant d’une remise en question de l’organisation de l’entreprise.

En troisième lieu l’entreprise doit redevenir un laboratoire d’innovation sociale.

Redevenir oui, car sur ce point on peut tout simplement parler de régression. La toute puissance de la finance a occulté le rôle des DRH dans bon nombre d’organisations. Or si ce terrain est abandonné à l’Etat il n’aura de cesse que de s’en saisir pour réglementer davantage encore. Où sont les Antoine Riboud ou les Claude Bébéar qui en leur temps n’hésitaient pas  à bousculer les idées patronales les mieux établies et qui ont réussi à promouvoir au sein de leurs entreprises des modèles sociaux novateurs. Les chefs d’entreprises ne doivent pas se contenter de décrier la rigidité du droit du travail en dénonçant par exemple -à juste titre le CDI qui bloque toute souplesse en cas de difficultés.  Ils doivent proposer des solutions alternatives avec sincérité.  Tant que « CDD » rimera avec « précarité » ou « stage »  avec « main d’œuvre  bon marché » cette sincérité ne sera pas établie. La souplesse tant recherchée doit s’accompagner d’un engagement de développement de l’individu. C’est le concept de « management durable » sur lequel nous reviendrons, autrement appelé,  « flexsécurité ».

Enfin, en quatrième lieu, les entreprises doivent prendre leur part de l’engagement citoyen.

On le voit bien, les pouvoirs publics englués dans les déficits publics n’y parviennent plus. L’entreprise doit prendre le relais et ne peut plus s’abstraire de son écosystème. Les  jeunes générations le réclament. Les  dirigeants peuvent y trouver une nouvelle opportunité de tisser un lien avec leur environnement et de donner du sens au travail de leurs salariés. La  multiplication des fondations  constitue un axe de progrès indéniable, encore faudrait-il qu’elles soient gérées de façon très professionnelle par de véritables dirigeants et quelles s’inscrivent pleinement dans la stratégie de l’entreprise :    « la stratégie du cœur, au cœur de la stratégie», selon la formule de McKinsey et qu’elle associe à l’ensemble des salariés dans un vaste projet d’entreprise citoyen.

Alors oui, si nous acceptons toutes ces remises en cause, nos organisations montreront leur capacité à se transformer !

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 Philippe Wattier, septembre 2012

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