Compte rendu de la conférence du 3 avril 2014

 

Cycle d’études 2014 : « la fin du management »

 

Quelle éducation pour les dirigeants ?

 

Conférence du 3 avril 2014 : « Quelle éducation pour les dirigeants ? » 

 

Notre conférence inaugurale du 12 février au cycle d´études de l´année « la fin du Management » nous a permis de vérifier que les dirigeants allaient devoir remettre en question leur management et leur leadership de façon sérieuse. Tout au long de l’année, nous explorerons les pistes qui devraient nous permettre de nous y préparer.

Au cours de cette première conférence nous avons questionné « l’Education » dans son ensemble -celle que nous avons reçue pendant notre jeunesse ou celle qui s’adresse aux adultes que nous sommes devenus.

Nous avons essayé de déterminer si elles répondaient toujours aux défis qui se présentent à nous.

Autour de David Abiker dont on connait le goût pour ces questions, les intervenants que nous avons choisis, ont tous une autorité reconnue comme professionnels de l´Education ou comme Chefs d´Entreprise pour poser les éléments de ce débat et nous pousser à la réflexion.

Trois thématiques ont été abordées par nos intervenants :

  • Quels dirigeants ou quels leaders voulons-nous ?
  • Quel peut être le rôle du système éducatif dans l’éducation de ces nouveaux dirigeants ?
  • Quel rôle doit prendre l’entreprise dans cette éducation ?

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Laurent Choain est « Chief HR Officer » du Groupe Mazars, groupe international d’audit et de conseil, depuis 2010. Inlassable passeur entre les mondes académiques et professionnels, Laurent a tout à la fois exercé son activité en qualité de DRH (15 ans) et a contribué à la promotion de l’éducation au management et à la direction d’Universités. Docteur en Sciences de gestion, Diplômé de l’IAE de Paris I Panthéon Sorbonne et de l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims, Laurent Choain est impliqué dans les boards et dans de nombreuses associations éducatives (le Cercle du leadership, le Cercle de la prospective RH, la Peter Drucker Society, et l’EFDM).

 

Eric-Jean Garcia est Professeur, Conseil et auteur. Titulaire d’un doctorat (PhD) de la University of London en Sciences de l’éducation, et d’un MBA de l’Université of Dallas, Eric-Jean Garcia est Chercheur-conseil en leadership et innovation managériale. Il est directeur de l’Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po où il est également Maître de Conférences pour le Master GRH. Il est par ailleurs « Visiting Professor » pour la School of Government and Public Policy (SGPP) de Jakarta. Eric- Jean est l’auteur de nombreux ouvrages. Il vient de publier « le génie du leadership » (Dunod).

 

Valérie Gauthier est Professeur à HEC Paris depuis 1989 et « visiting professor » au MIT sloan. En 1998, Valérie Gauthier coordonne pour le groupe HEC le développement international en Amérique du Nord. La même année, elle fonde le CREA, Centre de Ressources et d’Etudes Anglophones, de 2002 a 2010 elle est élue directeur délégué du MBA HEC en 2002 (et réélue en 2006), Valérie Gauthier internationalise le programme (82% de participants non français) et fait évoluer le MBA, mettant au cœur du projet de formation le concept du « savoir-relier TM« .

 

Anne Juliette Hermant est « Global Head of Learning and Development » au sein d’Axa Group, qu’elle a rejoint en 2004 en tant que Directeur de l’Université Corporate. Elle a lancé en 2008, le « Research Fund Scientific Board » dont elle est aujourd’hui encore membre. Professeur de Littérature Française au début de sa carrière, elle s’est toujours depuis lors intéressée au développement de l’éducation dans les différentes entreprises au sein desquelles elle a travaillé, ainsi qu’au sein de l’Administration Publique. Anne-Juliette Hermant est diplômée de l’Ecole Normale Supérieure et de Sciences-Po Paris.

 

Gérald Karsenti est nommé le 1er Juillet 2011 Président Directeur Général de HP France. Diplômé de l’IEP de Paris (Sciences Po Paris, PhD), d’un mastère de management de HEC Paris, d’un diplôme d’Oxford University dans le domaine de la conduite du changement, d’un master en finance de l’IAE de Paris (Sorbonne Business School) et d’un master en économie de l’entreprise de l’Institut d’Economie et de Management de l’université de Nantes. Auteur de plusieurs ouvrages, professeur & affilié à HEC ; le leadership est au cœur de ses recherches. Gérald a notamment publié : « le business model des Services » (éd de l’organisation).

 

Nathalie Loiseau est Haut Fonctionnaire, Ministre Plénipotentiaire, Directrice de l’ENA. Elle est diplômée de Sciences Po Paris et de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales en Chinois. Elle effectue une grande partie de sa carrière au sein du Ministère des Affaires Etrangères dont elle sera de 2009 à 2012 la DRH. En 2012, elle est nommée Directrice de l’École Nationale d’Administration (ENA). Elle veut prêter attention aux élèves et leur enseigner le management. « Ils sont intelligents, mais cela ne suffit pas à faire d’eux de bons managers ». Elle s’attelle également à réformer les concours d’entrée pour limiter les discriminations.

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La question initiale de l’appétence personnelle de nos six intervenants aux questions de l’Education du dirigeant est riche d’enseignements. Avec leurs sensibilités diverses selon qu’ils sont chef d’entreprise, en charge des questions de la formation au sein de leur société, ou professionnels de l’Education, ils se rejoignent pour affirmer trois points majeurs : l’éducation est un état d’esprit, c’est une responsabilité citoyenne et c’est une nécessité permanente.

Quelle éducation pour les dirigeants ?

« Si vous trouvez que l’éducation est chère, essayez donc l’ignorance »…

  • C’est un état d’esprit et une attitude indispensables au dirigeant, car c’est une manière pour lui de rester en alerte permanente, de se remettre en cause, de ne pas se reposer sur des lauriers passés, de garder une mentalité, « d’éternel étudiant ». D’être un chercheur !
  • C’est une responsabilité citoyenne et sociétale car le dirigeant ne peut s’abstraire d’un écosystème (environnemental, économique et social) en perpétuel évolution qui lui lance des défis nouveaux
  • C’est enfin une nécessité permanente qui doit amener les mondes de l’éducation initiale et de la formation continue (le terme anglais de « management d’Education est de ce point de vue nettement meilleur) pour offrir un continuim d’Education tout au long de la vie.

Dès lors la première question qui se pose est bien celle du dirigeant que nous voulons être. Mais, au fait, avons-nous le choix ?

« C’est la Société qui impose sa loi ; aujourd’hui la demande est technologique et sociétale »

Pour Gérald Karsenti, PDG d’HP France, c’est bien la Société et ses exigences qui déterminent le profil du dirigeant « idéal ».

Entre les deux guerres, la Nation devait retrouver les chemins de la paix et de l’harmonie, le bac philo était la panacée et les « littéraires » avaient le vent en poupe. Après la deuxième guerre mondiale, la nécessité de la reconstruction industrielle a propulsé les « matheux » et les ingénieurs aux commandes des entreprises ; ils ont régné sur les trente glorieuses. Les premiers soubresauts de la crise ont consacré les financiers qui dominent le paysage économique depuis les années 90.

Gérald Karsenti - Quelle éducation pour les dirigeants ?

Or quelle est la demande de la Société aujourd’hui ? Elle est de deux ordres : technologique et sociétale. Derrière ces deux exigences sont en jeu d’une part toute la question du lien entre le dirigeant et les jeunes générations à travers la compréhension des nouveaux langages et des nouveaux modes d’organisation et, d’autre part la capacité à comprendre et à répondre aux aspirations de la Société tout entière notamment en matière d’emploi, d’égalité des chances, de diversité et de préservation du cadre de vie.

Anne Juliette Hermant, Head of learning au sein du Groupe AXA appuie cette dernière considération : « l’entreprise a une responsabilité citoyenne, les dirigeants doivent intégrer ce rôle et y être mieux préparés »

 « La sélection des dirigeants ne peut être réduite à un concours de beauté intellectuelle »

Nathalie Loiseau, Directrice de l’ENA s’attelle à réformer le concours d’entrée de l’Ecole pour aller dans ce sens. Détecter les meilleurs aujourd’hui ne s’appuie plus sur la seule recherche de l’Homme omniscient. Il faut au contraire limiter le contrôle de connaissance aux seules matières indispensables et développer des épreuves de sélection qui mettent en jeu l’intelligence collective et relationnelle. Il faut enfin arrêter de cloner les élites de la République en attirant des femmes (Grâce aux efforts entrepris récemment, elles représentent aujourd’hui 45 % des élèves de L’ENA) et en recherchant, par des ouvertures à d’autres filières de formation, des talents différents.

La recherche du potentiel, de la motivation et de la diversité des talents doit devenir l’axe principal de sélection des futurs hauts fonctionnaires. Pour cela il faudra aussi mixer au sein du jury des professionnels du recrutement et des académiques.

Laurent Choain, Chief HR Officer de Mazars et créateur de « the Next MBA » complète le portrait-robot du dirigeant en expliquant que par un effet purement mécanique et démographique, celui-ci va très rapidement appartenir à la génération Y. Or que veut cette génération ?

S’appuyant sur une enquête mondiale effectuée auprès de 3500 jeunes cadres, Mazars a décelé que les genY gardaient une appétence intacte (68 %) pour exercer des fonctions de management, contrairement à une idée reçue, mais qu’ils souhaiteraient à une écrasante majorité parmi cinq socio-types de dirigeants possibles, faire partie de la catégorie « nice type » (les autres propositions étant straight type, expert type, pionner type gang type).

Sur la foi de cette enquête s’esquisserait le profil du dirigeant de demain peu enclin à l’autoritarisme prédisposé à l’empathie, primus inter pares plus que chef, facilitateur, créateur de liens…

Réponse dans quelques années !

Quel rôle peut alors jouer le système éducatif traditionnel pour éduquer ce nouveau dirigeant ?

Pour Valérie Gauthier, professeur à HEC le système éducatif doit sérieusement se remettre en question et se réinventer.

Quelle éducation pour les dirigeants ?

« S’ouvrir à l’international, faire l’apprentissage du collectif, brasser, éprouver son propre leadership…»

Cela passe par l’ouverture à l’international ; cette ouverture aux différences constituent une opportunité pour se remettre en question, s’enrichir, éprouver son leadership au contact de celui des autres.

Cela passe aussi par des travaux collectifs plus nombreux afin d’encourager les futurs dirigeants dès leur formation initiale à utiliser leur énergie non pas pour être le premier mais pour fédérer les autres.

Cela passe encore par le brassage interculturel, rien de tel que de mélanger sur les mêmes enseignements des MBA de 40 ans, des étudiants en fin de cycle ou des salariés de l’Ecole de la deuxième chance par exemple.

Cela passe enfin par la capacité à travailler très tôt, puis tout au long de la vie, son leadership personnel ; à se regarder, apprendre à se connaître, se jauger à l’aune du regard des autres.

« Pour les enfants-bambous, développons des enseignements différenciés. »

C’est le formatage accablant de nos enseignements qui constitue aux yeux d’Eric-Jean Garcia, professeur à Sciences Po, un des points de blocage majeur de notre système éducatif initial. Malheur à l’enfant bambou dont le talent sous-jacent va s’épanouir trop tard lorsque le wagon de l’enseignement supérieur et de meilleures écoles sera déjà passé. Combien de vrais talents perdons-nous ainsi chaque année ?

Quelle éducation pour les dirigeants ?

La solution réside dans le « learning preference » : des enseignements adaptés à chacun dès le plus jeune âge ; la capacité à faire émerger toutes formes de talents ; le choix de matières moins traditionnelles, qui mettent en œuvre d’autres sphères, moins analytiques, plus artistiques ou émotionnelles ; des écoles ou des universités qui s’attèlent à former des dirigeants ayant une vision éclairée et non des « best system player » ; qui soient capables de s’entourer ; qui enfin aient une lecture lucide de la Société. D’une certaine manière il faut réinventer « l’honnête homme » de Montaigne. (NDLR : au XVIIème siècle, l’honnête homme a une culture étendue et des qualités sociales propres à le rendre agréable. Homme de pouvoir, il sait se montrer humble et sait s’adapter à son entourage).

Mais l’éducation s’arrête-t-elle sur les bancs de l’école ? Quel rôle pédagogique doit prendre l’entreprise ?

Pour Anne Juliette Hermant, Head of learning du Groupe Axa, la réponse est sans équivoque : il faut assurer un continium tout au long de la vie. « L’éducation ne s’arrête pas lorsqu’on quitte le banc de l’Université ou des Grandes Ecoles, mais celle que les entreprises doivent assurer doit être d’une autre nature.

En premier lieu, il faut commencer par tordre le cou à toutes les approches classiques de la formation ! Le catalogue, l’approche transactionnelle ou budgétaire, celle qui permet de remplir une obligation budgétaire, d’acheter la paix sociale, ou de récompenser.

Le seul véritable objectif de la formation doit être d’accompagner la transformation de l’entreprise et par voie de conséquence d’aligner les compétences internes sur la stratégie ce que Gerald Karsenti résumera en indiquant que l’outil de la GEPC (Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences), censé répondre à cet objectif n’est pas suffisamment utilisé par les chefs d’entreprise.

« Permettre plutôt que transmettre » :

Il faut en second lieu, totalement repenser le contenu même des formations. Les nouvelles générations ne souhaitent plus qu’on leur transmette des concepts ou des pratiques déjà éprouvées par leurs ainés. On sait qu’ils souhaitent d’une manière générale des espaces de liberté, de créativité et d’initiatives ; cela concerne également leur formation.

Laurent Choain, Chief HR Officer de Mazars mais aussi concepteur d’une Université inter-entreprises (The Next Mba) résume ce point en une formule choc : « Il faut permettre plutôt que transmettre ».

Laurent Choain - Quelle éducation pour les dirigeants ?

Permettre à chacun de se mettre en situation ; d’expérimenter ; de se tromper ; de tester ; de choisir ses équipiers : « do it, test and learn, and fail fast » … permettre de partager le leadership selon les projets, inventer des creusets qui vont révéler … ou pas, les véritables leaders ; mélanger au sein d’équipes communes des profils différents et pointus (les spikye leader.)

  « Donnez-moi l’accès à un MOOC’, à un TEDx ou à une communauté…et je me débrouille…»

En troisième lieu l’entreprise ne doit pas nécessairement s’atteler à définir des contenus propres de formation ou d’éducation. Elle doit au contraire favoriser les échanges de savoirs. Regrouper par exemple son université interne avec celle d’autres entreprises. Mais elle doit aller plus loin encore en favorisant le « peer learning » ; en incitant les dirigeants à aller chercher à l’extérieur les contenus qui les intéressent, sur les réseaux sociaux, sur les blogs, sur les sites de formation en ligne, au sein des MOOC’s ou des TEDx, ou encore au sein de communautés de dirigeants (NDLR : c’est d’une certaine manière le crédo du Cercle du leadership : partageons nos expériences !)

En définitive l’éducateur devient un animateur de communautés, de partage de savoirs et d’expériences.

 

Les propositions de nos intervenants :

  • Réformer l’ENA : introduire une épreuve collective dans le concours ; introduire des professionnels des Ressources Humaines dans le Jury.
  • Développer les dirigeants coachs et mentors pour accompagner les jeunes générations.
  • Pratiquer le « reverse coaching » : les genY prennent en charge leurs dirigeants sur l’apprentissage des High Tech.
  •  Créer des universités inter-entreprises comme par exemple « the next MBA ». 
  • Mêler au sein de l’Education initiale des académiques et des dirigeants.
  • Travailler sur l’Education Sociétale du dirigeant.
  • Mieux exploiter le dispositif de GEPC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences) pour adapter les compétences internes aux objectifs stratégiques de l’entreprise.
  • « Déformater » l’éducation initiale ; favoriser les enseignements différenciés pour s’adapter aux diverses formes de talents.
  • Introduire les matières non conventionnelles dans les cursus universitaires pour favoriser l’intelligence émotionnelle et relationnelle.
  • Mélanger dans les écoles, les générations, les diversités de parcours, de culture et de nationalités.
  • Travailler sur « soi » dès le plus jeune âge.
  • Former par expérimentation et par la mise en situation en leadership partagé.
  • Miser sur le MOOC’s (formation de masse en ligne) et sur le Peer learning.
  • Inciter les dirigeants à partager leurs expériences au sein de communautés.

Propos recueillis par Philippe Wattier- Avril 2014

 

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