Conférence du Cercle du leadership au Collège des Bernardins

«… Et votre propre leadership !»

 

Sommes-nous préparés à exercer dans les meilleures conditions possibles notre propre leadership ?

Propulsés à des postes de responsabilité – grâce à notre volonté, notre travail et notre talent- sommes-nous pour autant aptes à la tâche redoutable d’avoir à diriger, encadrer, entraîner  conduire… les hommes et les femmes placés sous notre autorité ?

Et si notre charge ne nous conduit pas directement à exercer des fonctions de commandement,  avons-nous en main les cartes pour exercer ce pouvoir d’influence qu’on attend de l’expert que nous sommes devenus ?

Bref sommes-nous un leader reconnu dans la fonction qui est la nôtre ?

Quoi de plus naturel pour un Cercle comme le nôtre que de vouloir explorer cette question, sans doute personnelle, mais ô combien utile pour améliorer notre efficacité, notre relation aux autres et, par suite, notre propre bien-être.

Deux intervenants différents, mais pourtant complices sur les «fondamentaux», nous ont permis d’y réfléchir.

Bruno Luc Banton

Bruno Luc Banton est un ancien chasseur de têtes. Il exerce aujourd’hui comme coach de dirigeants.  Autant dire qu’il connaît le monde de l’entreprise et les ressorts qui amènent les hommes à devenir des dirigeants. Il est aussi psychanalyste ; il a donc accompli ce voyage intérieur qui l’autorise à parler en connaissance de « la conscience du moi » ou de la nécessité du « savoir ressentir », car il a poussé l’exercice aussi loin qu’il est possible.

Valérie Gauthier

Valérie Gauthier est la Directrice du Mba d’Hec  On imagine déjà une femme soucieuse de promouvoir les techniques de management classiques  et éprouvées propres à beaucoup de grandes écoles de commerce ! Pas du tout ! Valérie a organisé son Mba autour du leadership et a orienté toute l’énergie de ses étudiants vers  la recherche de leur propre  leadership à travers ce qu’elle  appelle « le savoir relier ».

L’un et l’autre sont des êtres accomplis. Bruno Luc a mené des études approfondies en matière de Direction d’orchestre et de Violoncelle. Valérie fut une championne de tennis et encore récemment une championne de ski émérite. Rien à voir… Si ! L’aptitude à mobiliser avec succès plusieurs facettes de sa personne,  sont des « signifiants » qui ne sont pas neutres lorsqu’on évoque ces questions du leadership.

Avant même qu’ils prennent la parole on a déjà envie  d’écouter Bruno Luc et Valérie.

« Savoir ressentir ce qu’il se passe en soi » d’un coté, « savoir relier les hommes, les idées, les projets…» de l’autre, voilà bien les deux pierres angulaires de notre leadership posées. L’affaire paraît séduisante, mais attention, le leadership- selon nos deux intervenants- ne se réduit pas à l’énoncé de quelques recettes à la mode rapidement assimilables.

Le leadership n’est pas une fille à soldats. On ne l’embrasse pas comme ça. Il est rétif à s’offrir à celui qui ne fait pas l’effort d’aller le rechercher au plus profond de lui. Il se dérobe vite sous nos pas. Il s’envole dés qu’on pense le saisir…il passe par un cheminement intérieur,  il vagabonde dans le temps de l’inconscient. On ne peut le capturer qu’au prix d’un travail de patience digne d’un pêcheur de carpes. Et si par miracle, au prix de cet effort, on le trouve au fond de son être, il ne servirait à rien si nous n’étions capables de le mobiliser pour que les autres le reconnaissent en nous. Car on n’est pas leader, on est reconnu-ou pas- comme tel par les autres.

Autant dire qu’un « phénomène » pareil ne se laisse pas enseigner facilement dans  les écoles de management par la délivrance de quelques principes de savoir-faire à la portée des bons élèves.

Apprendre à parler en public, à conduire une réunion, à réussir un entretien, à fixer des objectifs, à prendre des avis, à décider, à obtenir l’adhésion…  est certes possible et même recommandé. Cela s’enseigne très bien. Mais ce faisant on forme un bon manager -ce qui n’est déjà pas si mal-  pas un leader !

Le ton est donné !

Le leadership est l’apprentissage de toute une vie.

On ne devient pas leader, par un coup de baguette magique, parce qu’on aurait décidé de « s’y mettre » tout à coup, généralement à l’âge adulte, en découvrant que c’est important  pour sa réussite personnelle. Le Champion de tennis ou de golf,  le virtuose de piano ou de violon, l’écrivain, l’artiste, ont eu la révélation de leur talent au plus jeune âge et forts de cette révélation y ont ensuite consacré une énergie hors du commun. Une fois parvenus au sommet de leur art ils n’ont pas un instant relâché leurs efforts. Ils traquent sans cesse ce petit rien qui fera la différence. Ils sont en apprentissage permanent.

Cet apprentissage ne concerne pas principalement leur savoir ou leur savoir faire. Tout cela est acquis pour eux et nécessite simplement un entretien de routine. Non, cet apprentissage permanent à trait à l’être.

Le leadership est un état d’être.

Trop d’enseignements sur le leadership évoquent le savoir faire ou le comportement. Ils abordent la question du leadership par l’objet ou par l’objectif.  Alors que le leadership commence par le sujet, c’est-à-dire par soi.  Or soi, c’est une toute autre affaire ! Cela a trait  à l’intime, à l’inconscient, au sens… A l’instar du champion ou de l’artiste celui qui deviendra leader a sans doute plus que d’autres mené dès son plus jeune âge cette recherche sur lui-même. Il a cultivé son être ; éprouvé ses sens ; exploré son imaginaire  jusqu’à ressentir intimement tout ce qu’il est capable de délivrer dans telle ou telle circonstance. C’est cette capacité à habiter pleinement tout son être, à être à « l’aplomb de lui-même » qui permettra au chef d’orchestre, avant même d’avoir levé sa baguette, par ce simple échange du regard avec ses musiciens, de se poser presqu’instinctivement en leader de son groupe. Posture furtive d’un long apprentissage intérieur. Leadership reconnu instantanément par une sorte de magie qui en réalité n’est que le résultat de cet intense travail intérieur.

Etre leader de soi…

Ce leadership consiste a parfaitement se connaître et à délimiter ses limites pour ne s’offrir aux autres qu’en pleine conscience de ce qu’on peut réellement leur apporter. Il faut donc commencer par être leader de soi. Cela consiste à concentrer son être sur ce qu’il est vraiment,  et non pas sur ce qu’on voudrait qu’il soit,  par retranchements successifs de tout ce qu’il n’est pas, comme le sculpteur façonne son bloc par retrait de la matière superflue. Ce travail d’authenticité, cette recherche narcissique sont les préalables indispensables à l’exercice de toute fonction de leadership.  C’est à cette condition que le leader éclot, unique et singulier.

… pour devenir leader ses autres.

Le leader devient alors un être qui est pleinement habité par ses sens. Il peut conduire cet échange qui le reliera aux autres. Débarrassés de toutes les scories inutiles,  il n’est plus  dans un jeu de rôle. Il lui faut pour cela une volonté : la conscience de soi peut rester un effort narcissique indispensable  mais vain, si cette volonté d’échanges n’existe pas. Il faut que le leader ait envie d’investir les autres, comme il a su investir son être ;  il faut qu’il souhaite fouetter l’imaginaire des autres, comme il a exploré le sien. Il faut qu’il créé du désir, voire du phantasme chez les autres ; comme il a su faire naître les siens en explorant son intimité ; il faut qu’il utilise les sens, les cinq sens et en particulier, celui de l’écoute, point nodal de sa relation aux autres.

Plus il faut consentir d’efforts pour aller vers l’autre plus on apprend sur soi.

Ce travail d’écoute n’est pas naturel.  Ecouter procède aussi d’un  état d’être davantage que d’une technique. Cela met en jeu tous les sens : écouter le verbe, mais aussi la parole, les silences, le langage du corps et in fine, écouter la propre résonnance de cet échange en soi.

Ecouter c’est aussi accepter les différences de toutes natures : d’opinions, de croyances, de culture… Plus la différence est grande, plus le chemin à parcourir est élevé, mais plus les enseignements qu’on en tire sur soi même sont importants.

La boucle est bouclée : vous êtes relié à vous-même, vous êtes relié aux autres. Vous les reliez entre eux.  Ils vous renvoient à vous-même. Cet état qui s’apparente à un jaillissement  est d’une fragilité absolue. Il est spontané et authentique. Il est fondamental !

Il est un état de grâce qu’il faut savoir cueillir.


Ecrit avec la collaboration de Aude Bernard, Valérie Pompilius et Isis Zahid.


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Crédits photos: Christian 2A (bannière) et Jason Whittaker (vignette)