Leadership financier : la fin de l’entreprise ?

Invités d’honneur :

Jean Hervé Lorenzi
Jean Hervé Lorenzi
Président du Cercle des économistes,
Conseiller du Directoire de
la Compagnie Financière Edmond de Rothschild

Anthony Wyand
Anthony Wyand
Vice-Président de la Société Générale,
Ancien Président D’Aviva

Anthony Wyand est aujourd’hui Administrateur de plusieurs sociétés bancaires ou d’assurances en Europe. Il est notamment Vice-Président du Conseil d’Administration de la Société Générale.

De nationalité Britannique et Canadienne, il a commencé sa carrière, après des études au Royal Military College du Canada, comme Officier au sein des Canadian Guards.

Il poursuit ses études en obtenant un MA au Kings College de Londres et rejoint la Société d’Assurance britannique Commercial Union au sein de laquelle il effectuera toute sa carrière. Successivement comme senior VP aux Etats-Unis, comme CFO, puis comme Deputy CEO et enfin comme Excutive Director de cette même Société devenue Aviva

Anthony Wyand a également été Président de la Filiale française d’Aviva, rachetée au Groupe Suez, ce qui lui permet de connaître et d’apprécier notre pays.

~·~

Jean-Hervé Lorenzi est aujourd’hui Conseiller du Directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, professeur à Paris-Dauphine, membre du Conseil d’Analyse Economique. Il est le fondateur et le Président du Cercle des économistes.

Après des études d’ingénieur, il s’intéresse à l’économie et complète sa formation en devenant Docteur Agrégé en Sciences Economiques. Il occupe alors de nombreuses fonctions, au sein du groupe Havas tout d’abord, puis dans l’industrie, comme Directeur adjoint de la Dieli, comme Directeur Général de Sari Groupe. Il est en 1991-1992 Conseiller économique du Premier Ministre. Il est ensuite successivement Directeur Général de CEA Industrie et du Cabinet de courtage Gras Savoye.

Jean-Hervé Lorenzi s’impose comme un économiste reconnu, auteur de nombreux ouvrages qui font référence, dont le dernier en date : « fin du monde ou sortie de crise ? » nous amène très directement au débat de ce jour.

~·~

Anthony Wyand rappelle tout d’abord dans son propos liminaire que le secteur financier a contribué au déclenchement de la crise actuelle par deux effets conjugués : la croissance du leverage de l’économie dans des proportions très importantes et la croissance du secteur financier lui-même au sein de l’économie

Le poids des gestionnaires de fonds sur la gouvernance de l’entreprise s’est accru de façon très rapide

La croissance du leverage sur les 20 dernières années a été d’une ampleur sans précédent. Il est passé entre 1990 et 2010, en pourcentage du PIB, de 215% à 469% au Royaume Uni soit une hausse de 118%. En France, la hausse a été de 50%, de 210% à 315%, comme aux Etats-Unis et relativement proche de la situation allemande (+70%). Certains pays ont été néanmoins beaucoup plus exposés à cette croissance du leverage : l’Espagne a ainsi vu une hausse de 180%, à plus de 355% du PIB.

Pendant cette même période, la croissance du secteur financier dans l’économie a été très rapide (+1000 points au Royaume Uni et aux Etats-Unis, +600 points dans les pays européens). Cette croissance a accru le poids des gestionnaires de fonds sur la gouvernance des entreprises, et en particulier sur leurs boards et sur l’élection de leurs dirigeants

Une étude européenne sur la composition des boards a montré qu’en France et en Allemagne, l’ancienneté moyenne nécessaire pour accéder à des postes de CEO ou de président était entre 7 et 12 ans. Au Royaume Uni, ce délai est de 1 an comme administrateur avant de prendre la direction de l’entreprise.

Le « rétrécissement » de l’expérience de certains membres des boards s’explique par la croissance de l’influence des gestionnaires de fonds et de leurs exigences de contrôle de leurs participations. Cela étant, c’est aussi un risque selon Anthony Wyand pour l’expertise nécessaire au pilotage de ces sociétés.

Au-delà de cette « conséquence malsaine » de la croissance des actifs gérés et du poids du secteur financier, Anthony Wyand souligne d’autres risques connexes.

Les exigences de retour sur investissement demeurent irréalistes

Tout d’abord, ce qu’il appelle « l’emphase perpétuelle » des gouvernements sur la croissance de l’économie et le refus par les experts et les hommes politiques d’admettre les risques générés encore aujourd’hui par la croissance des actifs immobiliers et de certains secteurs.

Enfin, plus largement, Anthony Wyand rappelle que la croissance du poids de la Chine dans l’économie est un risque encore sous estimé, en particulier par l’effet que cette croissance a sur celle des déficits commerciaux.

En conclusion, Anthony Wyand rappelle que la stabilité financière est la clé d’une croissance pérenne et saine ; et que nous sommes encore loin de ce pré-requis avec la combinaison de cette croissance du secteur financier, de la trop forte focalisation des CEO sur les aspects comptables, et sur des exigences de retour sur investissement « irréalistes ».

Jean-Hervé Lorenzi nous a fait partager sa lecture de la crise, et en particulier les raisons pour lesquelles, selon lui, les grandes économies sont désormais sorties de la récession si on s’en tient à la convention de deux trimestres consécutifs de contraction du PIB, mais pas encore de la crise.

La création du G20 a été un motif légitime de se réjouir. Reste que, selon lui, en un an, le seul résultat tangible a été la création du Conseil de stabilité financière tandis que des progrès secondaires ont été faits sur les bonus et les paradis fiscaux. Mais le récent discours de Barack Obama sur les banques relance le processus de réorganisation du système financier mondial.

Dans son exposé, Jean-Hervé Lorenzi rappelle d’abord que la crise est née de trois problèmes macro économiques majeurs :

Tout d’abord, l’explosion des liquidités monétaires avec une croissance de +15% par an entre 2002 et 2007 alors que la croissance de l’économie dans le monde était de 4-5%.

Ensuite, la volatilité du prix des matières premières dans des proportions qui ont tétanisé à tour de rôle les investisseurs lors des chutes et les consommateurs lors des hausses. Jean-Hervé Lorenzi rappelle que lors de précédentes périodes, les gouvernements étaient parvenus à établir des « corridors acceptables » de fluctuation du prix des devises ou des ressources.

La croissance de la Chine… à l’origine des déséquilibres actuels

Enfin, en résonance avec le propos de Anthony Wyand, la croissance de la Chine et des transferts d’activité vers les grands pays émergents est mis en avant comme un des problèmes à l’origine des déséquilibres actuels.

Or ces trois sujets sont toujours d’actualité. On peut donc parler de sortie de la décroissance, mais la sortie de crise est encore devant nous. Les hypothèses de croissance de 1,4% sur 2010 sont partagées par les économistes mais le profil de l’année devrait être l’inverse de celui de 2009, avec un premier semestre de reprise ralenti sur le second semestre. De nombreux challenges attendent donc encore les gouvernements :

Nous sommes dans des économies encore sous perfusion

En 1931/1932, la création d’un système monétaire international avait permis d’assurer la circulation des liquidités pour amorcer la reprise. Aujourd’hui, aucun pays n’a vu son système bancaire retrouver son rôle de financement de l’économie. D’autant que plusieurs règlementations sont en cours d’élaboration pour renforcer les normes prudentielles des établissements de crédit.

Nous sommes dans des économies encore sous perfusion. Les interventions publiques expliquent le retour de la croissance, mais la situation est encore tendue :

La hausse de 2% du pouvoir d’achat constatée en 2009 est due en partie à du désendettement et à des mécanismes comme la prime à la casse dont les effets devraient prendre fin sur le second semestre 2010.

On ne constate pas d’augmentation des revenus salariaux et à peine un ralentissement de la croissance du chômage. En 2010, beaucoup d’emplois risquent encore d’être perdus. Au-delà des fluctuations mensuelles (il a baissé en décembre), le chômage va donc continuer à augmenter. Les deux urgences sont de remédier au chômage des jeunes (« un pays qui n’utilise pas ses jeunes est un pays qui se meurt ») et à la situation des chômeurs en fin de droit (3000 personnes arrivent chaque jour en fin de droit en France).

Les mutations en cours vont nécessiter du temps. Il s’agit d’accompagner une révolution pour réinventer de nouvelles activités. Jean-Hervé Lorenzi rappelle qu’en 1937, les grands pays avaient cru la crise terminée et avaient suspendu leurs efforts. Cette fois-ci, l’enjeu est de « donner des signes » et investir des sommes importantes dans les relais d’innovation et de croissance. A ce titre, la position du gouvernement français vis-à-vis d’Oseo est un très bon exemple.

Enfin, les gouvernements vont devoir anticiper dès 2010 les difficultés prévisibles de 2011, à savoir de fortes tensions sur les changes et les nécessaires réformes fiscales. Selon Jean-Hervé Lorenzi, ce n’est pas le moment de réduire les déficits. Surtout compte tenu de la faiblesse des taux auxquels les Etats se financent. 2011 verra de fortes tensions sur les politiques fiscales à réaliser pour limiter le déficit public. L’enjeu sera alors d’éviter la non-coordination entre les principaux acteurs, en particulier au sein de l’Union européenne.

~·~

François Drouin, Président Directeur Général d’OSEO, nous a alors fait part de son expérience de la crise à la tête de cet organisme.

Il rappelle tout d’abord les trois missions d’innovation, de garantie et de financement d’OSEO, au service des entreprises innovantes. Sur 2009, ce sont ainsi plus de 100.000 entreprises qui ont été accompagnées. La gravité de la crise pour elles a conduit le gouvernement à permettre à OSEO d’élargir son soutien à l’apport de cash et de trésorerie pour leur éviter le dépôt de bilan.

François Drouin souligne qu’OSEO a pris des risques à hauteur de 13 milliards d’euros, permettant de lever 25 milliards d’euros d’apport aux entreprises accompagnées. Selon un sondage réalisé auprès de celles-ci, 50% ont ainsi évité la disparition au plus fort de la crise (jusqu’en juillet 2009).

Dans certains cas, OSEO a porté son taux de garantie à 90% mais avec une croissance de son taux de sinistre limitée, donc avec un cout faible pour le contribuable, et un impact très important sur le taux de survie des entreprises aidées.

~·~

Lors du débat qui a suivi les exposés, Anthony Wyand a partagé son scepticisme à l’égard de l’intervention des Etats dans l’économie au prix de niveaux d’endettement trop élevés. La crise peut alors apparaitre comme une « pénalité » pour les excès commis.

« ni culpabilité, ni rémission »

Pour Jean-Hervé Lorenzi au contraire, il n’y a pas de lecture quasi religieuse à avoir de cette crise (ni culpabilité, ni rémission) par rapport au niveau d’endettement, en rappelant qu’à l’acmé de l’époque victorienne, le taux d’endettement de l’Empire britannique dépassait 200% du PIB.

Il s’agit selon lui avant tout des effets d’une compétition entre Etats dans une période où le pouvoir change de mains et bascule vers l’Asie. « Finalement, dans cette histoire, la crise du capitalisme est une crise secondaire ».

Le capitalisme ne peut se passer de la démocratie

A travers la question de savoir si les lignes avaient bougé entre capitalisme rhénan et capitalisme anglo-saxon, le débat a porté sur ce que le modèle capitaliste de l’économie pourrait devenir au terme d’une cohabitation avec une dictature politique et comment il était possible de déchiffrer sous la montée des pays « émergés » la remise en cause d’un modèle dans lequel libertés économique et politique étaient liées.

La seconde partie du débat a porté sur la question de l’équité des rémunérations dans ce contexte de crise et sur la perception de ces disparités par le corps social. Anthony Wyand soulignait que, dans le cas précis des banques, une mutation pourrait être amorcée en établissant le calcul des bonus sur des résultats après charges de capital, qui seront impactées par les exigences prudentielles de fonds propres.

Il insistait aussi sur le fait que les investisseurs institutionnels pourraient peser sur la question des bonus même s’ils étaient souvent trop focalisés sur le rendement de leurs participations, et que la question des disparités de rémunérations allait au-delà des sociétés cotés jusqu’aux partnerships et aux entreprises gérées par le private equity.

·•·