René Rupert

« L’état d’esprit des salariés, facteur clé de réussite des entreprises. »

René Rupert est expert dans la conduite des hommes et dans le domaine du risque psychosocial.

Ingénieur de formation, il s’est intéressé à l’état d’esprit des salariés et a développé une méthode scientifique conduisant à des outils de diagnostic et de quantification de celui-ci.

Il enseigne sa méthode dans plusieurs Universités. Sa carrière dans l’Industrie et la Finance lui a fait prendre conscience de l’usage abusif des seuls indicateurs  économiques pour piloter les entreprises,  poussant les dirigeants  à confondre objectifs et résultats et à prendre leurs décisions sur le court terme.

Incontestablement, le profond malaise des managers  et la crise que l’on connait actuellement lui donnent raison.

Le Cercle du leadership  a voulu en savoir plus. Interview.

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Le  Cercle du leadership : René Rupert  vous avez mené d’importantes recherches pour déterminer qu’il y avait une très forte corrélation entre la création de valeur par l’entreprise et l’état d’esprit de ses managers. Tout d’abord comment caractérisez vous cet état d’esprit ?

René Rupert : L’état d’esprit est l’aboutissement du discours intérieur comparant aspirations et perceptions. Ça, c’est toujours vrai. Mais nous parlons ici d’entreprise, donc de vie professionnelle. Donc il faut voir ce qui représente l’essentiel pour les membres d’une organisation. Je mettrais en tout premier le respect mutuel. Sans respect, aucune confiance ne peut se développer. Faisons l’hypothèse qu’il y a respect et que la confiance se développe : ce serait encore, pour moi, trop vague pour construire un questionnaire. Il y a deux sous dimensions de la confiance : la plus importante, c’est le degré d’influence que chacun voudrait et peut avoir sur son processus de travail. La moins importante, c’est l’image publique de l’entreprise. Pour mesurer la confiance, je me limite à la première en comparant l’autonomie à laquelle on aspire et celle que l’on ressent comme accordée par le management. L’équilibre ou le déséquilibre entre les deux donne l’état d’esprit de confiance qui règne dans la tête des employés.

Le Cdl : Mais n’est ce pas considérer que toutes les entreprises sont identiques et auraient besoin de développer le même état d’esprit chez leurs managers ? Or certaines ont besoin de faire appel à la créativité de leurs collaborateurs parce qu’elles sont dans un domaine de recherche ou de technologie de pointe par exemple, d’autres à leur discipline ou leur rigueur parce qu’elles sont dans un processus de reproduction purement industriel, comment faites vous la différence ?

René Rupert : En effet ; il s’agit ici de la complexité du processus de travail. Certaines entreprises réalisent leur chiffre d’affaires avec des processus tout simples : vendre des services de téléphonie, planter des salades par exemple. D’autres sont aux antipodes de cette échelle car leur chiffre d’affaire provient de nouvelles molécules qu’il a fallu développer. Andersen Consulting (aujourd’hui Accenture) a publié en Octobre 1999 une approche simple pour apprécier la complexité du travail. C’est une matrice à deux critères : on y place le processus selon que le travail est effectué seul ou en équipe et qu’il soit routinier ou nécessite au contraire de beaucoup de discernement. Avec quelques questions simples, on peut situer tous les processus de travail du monde sur la carte.

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Le Cdl : Il y aurait donc, si l’on vous comprend  bien,  une sorte d’échelle de l’état d’esprit qui devrait s’adapter au besoin de l’entreprise c’est bien cela ? Pouvez-vous nous en donner quelques exemples très concrets ?

René Rupert : Oui, c’est en effet cela. La comparaison entre aspirations et perceptions conduit à l’état d’esprit de la personne. L’échelle de l’état d’esprit se déploie sur ces deux dimensions. Par ailleurs et cela en est complètement indépendant, il y a la complexité du processus de travail qui exige un certain état d’esprit. L’art du manager est de faire en sorte que l’état d’esprit des employés corresponde à celui qui est utile pour répondre à la complexité. L’état d’esprit utile est définissable avec une bonne précision. Celui qui se trouve dans la tête des gens également. J’ai vécu ces dilemmes directement alors que j’étais en charge du pricing chez du Pont de Nemours : une centaine de produits vendus sur une centaine de zones monétaires différentes. Il fallait tenir compte des règlementations, toutes à disposition : j’arrivais à 7 heures, travaillais sur l’ordinateur. Un travail seul, presque routinier. Le département avait pour politique de faire des réunions. On nous racontait des choses et nous devions écouter les commentaires de nos collègues. Intérêt nul. Certains étaient furieux de devoir quitter leur travail parfois en retard pour passer trois heures chaque semaine à écouter des histoires sans application directe. J’y ai passé six mois : mes préférences allaient vers un travail en équipe. Ceux qui ont tenu le coup plus de dix ans, c’est bien parce qu’ils aimaient travailler seuls et acceptaient les trois heures hebdomadaires comme un mal nécessaire. L’état d’esprit que je repère, c’est aussi cela : a-t-on envie d’être seul ou pas et l’échelle des aspirations l’indique clairement : recherche-t-on l’appartenance au groupe ou sa reconnaissance ? Ou préfère-t-on la sécurité de l’isolement, avec le moins possible d’exposition aux autres ?

Le Cdl : Venons-en maintenant à la mesure de cet état d’esprit  Vous parlez d’un « indicateur de l’état d’esprit »  Comment mesure-t-on l’immatériel finalement et sur quelles bases avez vous entrepris cette modélisation ?

René Rupert : Je préfère parler de repérage plutôt que d’une mesure. L’indicateur état d’esprit dont les managers ont besoin est en fait l’écart entre l’état d’esprit avec lequel les employés viennent travailler et celui qu’il serait idéal d’avoir pour que le processus de travail se déroule au mieux. Cet écart leur montre le chemin : ce qu’il faut parcourir et dans quelle direction. Faut-il plus de contrôle et mieux guider ou au contraire accorder plus d’autonomie ? Faut-il travailler en équipe – comme l’impose la sécurité aérienne au poste de pilotage ou au contraire travailler en postes individuels pour des raisons d’efficacité ? L’écart dit tout : les activités de management à lancer et surtout le coût qu’il y a à négliger l’écart et penser que tout va s’arranger. Plus l’écart est grand, plus est grand le coût du statu quo.

La base de la modélisation est au départ purement empirique. En tant que directeur financier, je me suis retrouvé des deux côtés : je connaissais bien l’ambiance dans les ateliers et avais sous les yeux les indicateurs financiers. Puis on a suggéré des améliorations visant l’ambiance et j’en ai vu l’effet sur les indicateurs. En Europe de l’Ouest, ça met trois mois à passer et c’est visible après six à neuf mois dans un milieu industriel classique. Dans un restaurant, ça devrait se compter en semaines. A l’Éducation Nationale, ça risque plutôt de se compter en décennies. Une fois la phase empirique passée, j’ai utilisé les outils de la physique et non des moindres : la relativité restreinte, puis ceux des maths : la théorie des ensembles et les nombres complexes. Ça m’assure d’une parfaite rigueur qui manque à de nombreux instruments psychométriques.

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Le Cdl : Que se passe-t-il s’il y a un écart trop important entre cette mesure et ce dont l’entreprise a besoin ?

René Rupert : Si l’entreprise entretient un état d’esprit au travail qui ne correspond pas à celui qui est utile, elle prend  le risque que quelques concurrents fassent mieux qu’elle  et de perdre ainsi le marché. C’est le phénomène qui affecte en ce moment certains constructeurs automobiles. Au cynisme d’en haut aura répondu le cynisme d’en bas, suicidaire peut-être mais au frais des actionnaires. L’inverse est possible aussi : laxisme du management, ambiance club en bas mais si le processus ne le tolère pas, parce qu’il s’agit somme toute, de saisir des données ou de cueillir des fruits, on peut se retrouver sensiblement en dessous d’une productivité minimale vitale.

Le Cdl : Comment expliquez vous à des dirigeants, qui sont des personnes qui ont besoin de faits tangibles pour être convaincus, qu’un écart entre l’état d’esprit réel et l’état d’esprit requis peut avoir des répercussions sur le résultat de leur  activité ? Êtes-vous capable de mesurer cela également ?

René Rupert : La plupart des dirigeants sentent bien que l’état d’esprit de leurs troupes a un effet sur la productivité et ce dans les deux sens évoqués juste ci-dessus. Leur problème, c’est de n’avoir aucun outil pour voir où se trouve le juste milieu. Il y a l’intuition et l’expérience et les deux sont dangereuses. Quand je décris le modèle, ils revoient, ils revivent les situations auxquelles ils ont travaillé et se souviennent bien des résultats. Ils comprennent pourquoi ils ont réussi ou échoué. Ce qui les intéresse le plus, c’est finalement la quantification. J’ai bien vu moi-même, en développant tout cela, que je devais ramener le problème à une forme classique pour un gestionnaire : un gisement de valeur à gagner, une dépense pour y arriver et donc un retour sur investissement. Si la solution proposée ne prend pas cette forme tôt ou tard, il est impossible pour quiconque de décider pour ou contre et le projet meurt tout seul. J’ai donc assemblé mes observations, chiffré la valeur dissipée en fonction de l’écart d’état d’esprit et ai découvert une bonne corrélation entre valeur récupérable et l’écart visualisé géométriquement sur la cartographie de l’état d’esprit. Non seulement on lit le futur, parce que l’état d’esprit vient avant le comportement mais encore on voit combien ça peut couter. Ça, ça plaît.

Le Cdl : Là aussi on aimerait un exemple…

René Rupert : J’ai été mandaté pour cartographier les sites d’un groupe métallurgique : une cinquantaine d’ateliers assez importants, dispersés. J’ai présenté au comité de direction un diagramme par site en les classant selon l’écart d’état d’esprit relevé. Un sourire a accueilli ma présentation : « en gros nous savons tout ce que vous nous dites » mais le président a immédiatement rétabli le sérieux : « certes nous savons cela » a-t-il déclaré « mais il nous a fallu deux ans à toutes notre équipe alors que RR fait cela en 25 minutes par employé, six semaines au total. Et si nous savons bien quels sont les très bons et les très mauvais, il y a tous avait évidemment le classement des sites par leur productivité par individu, un classement quasi identique au mien. C’est dire que la corrélation est forte, à niveau technique égal.

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Le Cdl : Quel message aimeriez vous adresser aux dirigeants qui vous lisent ?

René Rupert : Dans les pays développés, les salaires sont élevés. Pour pouvoir les payer, il faut que la productivité suive. Mêmes matières premières, même technologie, mêmes procédés industriels. La main d’œuvre moins chère, c’est plutôt un atout pour les pays qui nous talonnent. Le seul facteur différenciateur est l’état d’esprit des troupes. L’avantage qui nous reste et qui est loin d’être négligeable provient de l’état d’esprit des travailleurs aimant le travail bien fait et désireux d’apporter les améliorations qu’ils découvrent au fil des jours, comme moi qui ai construit ce modèle en une trentaine d’années de pratique. C’est cet état d’esprit qui caractérise encore l’industrie hôtelière suisse et qui a fait les beaux jours du « made in Germany ». Les dirigeants ont 36 manettes sous les mains. Celle de l’état d’esprit est l’une des plus puissantes pour faire une différence, car sur le reste, ils sont imitables en tous points.

Merci à René Rupert de cet éclairage particulièrement intéressant. Nous invitons les lecteurs qui voudraient en savoir davantage à consulter son site web:
www.RupertConsulting.com

ou à se reporter à sa bibliographie :

« Mindset » the indicator for risk and performance. Revue Economique et Sociale. Vol 65 June  2007.

DRH et stratégie d’entreprise et « Personnel » N° 460 Juin 2005

La réponse à la complexité avec la boussole du management AG 1580 éditions Techniques  de l’ingénieur.