« Leadership et commandement en temps de paix et en opérations »

Invités d’honneur :

Général de Corps d’Armée Bruno de Bourdoncle de Saint Salvy
Général de Corps d’Armée Bruno de Bourdoncle
de Saint Salvy
Sous-chef d’Etat Major des Armées

Colonel Evelyne Bernard
Colonel Evelyne Bernard
Chef de la base aérienne Balard

A l’initiative de Jacques Roudière, Contrôleur Général des Armées et membre du Cercle du leadership nous avons été reçus au Cercle de la Garde Républicaine le 17 décembre 2009 pour écouter successivement le Général de Saint Salvy et le Colonel Bernard évoquer la question du commandement militaire.
Ces exposés ont donné lieu à d’intéressants débats entre les membres du Cercle du leadership et les représentants des armées sur les différences et les similitudes en matière de commandement et de management des hommes dans leurs univers respectifs.


Les cavaliers de la garde républicaine exécutent des figures réglementaires de l’ancienne équitation militaire. La reprise évolue en musique.

Le Général de Saint Salvy a tout d’abord présenté sa vision du commandement militaire.

Le commandement dans sa définition première se réfère à la notion d’ordre avec en point de mire l’ordre suprême qu’il est susceptible de donner au combat.

Deux évènements récents, l’ordre d’assaut pour la reprise du pont de Vrbanja en Mai 1995 en Bosnie ( 2 morts 17 blessés) ou l’ordre de faire face à l’embuscade dans la vallée d’Ouzbin en Août 2008 ( 10 morts, 21 blessés) rappellent tragiquement la finalité et la dimension du commandement militaire opérationnel : obtenir de ses hommes qu’ils donnent la mort ou qu’ils puissent la recevoir.

« Sans hésitation, ni murmure »

Cette exigence exorbitante constitue l’essence même de la spécificité du métier militaire. Au fond le commandement au combat représente un double défi : tout d’abord celui de l’obéissance immédiate car au combat l’urgence réclame une exécution à la lettre « sans hésitation ni murmure » comme le stipulent les anciens règlements, et c’est aussi celui de la solidarité, « faire naître l’intelligence de la solidarité, le devoir de s’y soumettre, le droit de l’imposer et l’impossibilité de s’y soustraire » comme le souligne le Colonel Ardant du Picq dans études sur le combat.


Douze cavaliers montés sur des chevaux alezans associent la rigueur équestre à la discipline militaire dans une prestation en grande tenue de service.

« Il faut être libre pour obéir »

Cette forme aboutie du commandement et de l’exercice de l’autorité ne se décrète pas et ne s’obtient pas sans une préparation, une forme de conditionnement libre et consenti. « Il faut être libre pour obéir » disait le philosophe Jean Guitton.

Le Général Lagarde (CEMAT, 1980), définit le commandement, les conditions de son exercice et précise ce qu’est le chef.
Le commandement s’articule autour de trois composantes indissociables : Prévoir, ordonner et contrôler. Prévoir c’est bien sûr le préalable indispensable à l’expression d’un ordre clair, juste et réfléchi. Ordonner c’est veiller à adapter l’ordre au contexte : élaboration concertée si la situation le permet, mais ordre reflexe qui s’exécute à la lettre en situation d’urgence. Contrôler, enfin, c’est l’acte par lequel le chef assume et assure sa responsabilité au regard de la mission qui lui a été confiée.
L’efficacité du commandement se construit sur la confiance et l’adhésion des subordonnées qui se conquièrent et s’obtiennent par la communication, la participation, la décentralisation et le sens de l’humain. Parmi ces quatre modalités, la dernière est probablement la plus essentielle en ce qu’elle recouvre la connaissance mutuelle d’hommes appelés à un destin hors norme et renvoie aux notions de respect, de considération et d’estime.

« La plus grande immoralité est de faire un métier que l’on ne sait pas »

Enfin, parler de commandement c’est parler du Chef lui-même. Celui-ci doit cultiver trois vertus : la compétence, la force de caractère et le désintéressement.
Pour un chef militaire, plus que tout autre, la compétence est le fruit de la connaissance et de l’expérience. Ceci justifie l’architecture des carrières militaires. On ne recrute pas un colonel ou un officier général comme un cadre civil de haut niveau ; on le recrute en bas de l’échelle, on le forme et il acquiert sa légitimité de chef en gravissant les échelons hiérarchiques et en exerçant des fonctions de commandement de niveau de responsabilité croissant. « la plus grande immoralité est de faire un métier que l’on ne sait pas » disait Napoléon.
La force de caractère est le produit harmonieux du courage et de la volonté. Rappelons que dans sa forme ultime, le commandement s’exerce dans un environnement de peur, de violence, de désordre dans lequel le chef doit obtenir un sursaut de ses hommes. La force de caractère est, pour le subordonné, un révélateur très direct et concret de la personnalité de son chef : on y lit son courage et sa détermination, mais aussi sa générosité, son pragmatisme et son humilité.
Enfin, le désintéressement, renvoie directement à la finalité de l’action militaire qui dépasse les acteurs dans les notions de sacrifice, de dépassement de soi, d’intérêt général et de bien commun. Il est porté par la formule d’investiture du chef militaire qui se voit confier un commandement :
« vous lui obéirez en tout ce qu’il vous commandera pour le bien du service, l’exécution des règlements militaires, l’observation des lois et le succès des armes de la France ».
On peut y adosser le culte de la mission qui ne laisse aucune place aux calculs individuels.


Aux ordres d’un lieutenant armé du sabre, trente-deux cavaliers en grande tenue de service, conduisent leurs chevaux de la seule main gauche, la droite étant dotée d’une lance.

« Les hommes sont un miroir pour le chef… il peut y lire ce qu’il est »

En conclusion, le Général de Saint Salvy évoque des considérations plus personnelles. Les différentes fonctions de commandement qu’il a exercées lui ont permis de mesurer chacun des points exposés plus avant, la dimension du commandement ; les conditions de son exercice, la lecture qu’en font les hommes autant que l’appréciation qu’ils font du chef, cela se lit dans les yeux et les coeurs. Les hommes sont comme un miroir pour le chef qui veut bien regarder ; il peut y lire ce qu’il est, à tout le moins comment ses hommes le voient et le perçoivent, et ils se trompent rarement. Ses expériences lui ont aussi enseignées la conviction absolue que le commandement militaire est avant tout une affaire de coeur car selon le mot du Général Laurier : « le chef qui réussit est celui qui sait insuffler à ses hommes l’ardeur qui l’anime. L’élan du coeur seul permet ce transfert ».

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Le Colonel, Evelyne Bernard a ensuite illustré ces différents propos par la relation de ses différentes expériences au cours desquelles elle a pu mettre en oeuvre bon nombre des préceptes militaires précédemment énoncés.

« L’autorité que donnent des galons de Lieutenant bien neufs ne fait pas tout. »

Sa première expérience l’a conduite à la sortie de l’école de l’air sur la base de St Dizier pour occuper les fonctions de chef des services techniques dans un escadron de chasse Jaguar de la Force aérienne tactique. A la tête d’une équipe de 80 sous- officiers, hautement spécialisés, le jeune Lieutenant qu’elle est étrenne ses galons tout neufs d’officier.

Son premier challenge est de se faire reconnaître par cette équipe de spécialistes. Pour asseoir son leadership, elle mise sur l’enthousiasme pour la mission, la confiance envers les plus anciens et une disponibilité sans faille. Elle instaure ainsi un climat de confiance et d’estime mutuels.

Avec le recul elle pense également que tout n’aurait as été aussi simple s’il n’y avait eu cette communauté de valeurs et cette passion partagée pour le métier exercé. Elle retire enfin de ce premier commandement la conviction qu’être chef : « consiste à connaître la mission confiée, la préparer avec l’aide des personnels sans lesquels on ne peut rien faire, les connaître ; être à leur écoute pour faire en sorte qu’ils aient les moyens d’exécuter la mission, enfin, prendre les décisions qui s’imposent quand il le faut. »

« Commander, c’est être à l’écoute, être juste… montrer l’exemple »

Sa seconde expérience l’amène à commander l’unité de maintenance de toute la flotte Transall de la base aérienne d’Orléans. 370 personnes militaires et civils.

Elle y découvre et y applique de nouvelles vertus du commandement : être à l’écoute, être juste savoir reconnaître les qualités des collaborateurs, mais aussi savoir sanctionner les erreurs, montrer l’exemple, savoir expliquer les directives, faire exécuter les ordres, veiller au bon déroulement de leur carrière, les défendre si nécessaire, leur insuffler de l’énergie quand il le fallait.
Commander revenait aussi a veiller à fournir à chacun les meilleures conditions de travail, mener les actions afin que l’unité ait les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

« Le grade donne le pouvoir d’exiger un comportement, le leadership est la capacité à gagner sa légitimité »

Enfin, sa troisième expérience lui permet d’accéder au commandement de la Cité de l’air et de la base aérienne 117 Paris-Balard. Prés de 1200 personnes. Le management s’y mêle au leadership, les missions sont multiples, le rythme impose ses lois. Le contexte exige d’être compétente, humaine sans faiblesse ; à faire prévaloir la mission tout en étant attentive aux difficultés de chacun.

Le colonel Bernard y affirme sa définition du leadership. « Le commandement est une extraordinaire aventure humaine. Le grade nous donne le pouvoir d’exiger un comportement de la part de nos subordonnés ; le leadership est sans doute la capacité à gagner la légitimité de ce pouvoir. »


Chaque cavalier mène deux chevaux en conjuguant la difficulté du travail monté avec celle du travail aux longues rênes.

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Le débat met en exergue les quelques points suivants qui constituent autant de pistes de réflexion et d’actions pour le monde civil :• La différence majeure entre l’univers militaire et l’univers civil tient à la quasi absence des situations d’urgence qui réclament « une exécution sans hésitation ni murmure », au sein de ce dernier. Pourtant ce point recouvre un paradoxe.
Les situations d’urgence sont aujourd’hui moins fréquentes dans l’armée, puisqu’à l’exception du champ afghan, elle évolue essentiellement en temps de paix.
Par contre elles peuvent exister dans l’univers civil en prise à une compétition exacerbée, (ne parle-t-on pas de guerre économique).
Le leadership civil doit donc sans doute s’armer pour l’exercice du commandement de crise. Dès lors toutes les vertus du commandement militaire telles qu’exprimées par le Général de Saint Salvy et le Colonel Bernard deviennent pertinentes pour le monde civil.• L’autre différence tient au sens de l’intérêt général qui est un pilier incontestable du champ militaire puisque celui-ci peut aller jusqu’au sacrifice suprême.
C’est en ce sens qu’une des trois vertus sur laquelle repose le commandement militaire est le désintéressement. Point que l’on n’enseigne pas véritablement dans les écoles de management, mais dont les leaders d’entreprises pourraient s’inspirer dans une période où l’on attend d’eux un engagement durable et sociétal qui dépasse les frontières de leur propre entreprise.• Enfin troisième différence significative : l’apprentissage interne.
Celui-ci semble beaucoup plus développé dans l’armée. Celle-ci ne recrute pas d’officiers supérieurs, elle les forme. Tous les officiers supérieurs ont d’abord été des officiers subalternes. 50 % des sous- officiers deviennent officiers. Chaque officier général a exercé des niveaux de responsabilité croissant et a forgé son propre leadership à l’aune de cette ascension.
Ce point était particulièrement flagrant dans l’exposé du Colonel Bernard. On ne peut manquer de faire le parallèle avec les parachutages fréquents au plus haut niveau des entreprises d’hommes ou de femmes qui n’en connaissent pas nécessairement le métier et qui gèrent l’entreprise davantage en financier, qu’en entrepreneur…Les vertus de la promotion interne comme antidote à la crise… !

Crédits photos: Le Cercle du leadership et Ministère de la Défense (SIRPA).